Roland Dumas en procès : La corruption discrète de la bourgeoisie26/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1698.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Roland Dumas en procès : La corruption discrète de la bourgeoisie

Depuis lundi 22 janvier comparaissent l'ancien président du Conseil constitutionnel Roland Dumas, avocat et ex-ministre de Mitterrand, son ancienne maîtresse Christine Deviers-Joncour, l'ex-PDG d'Elf-Aquitaine Le Floch-Prigent et André Tarallo, qui fut PDG d'Elf-Gabon. La justice entend éclaircir la responsabilité des uns et des autres dans le système de corruption qui accompagnait les opérations commerciales du groupe pétrolier. Un grand absent côté Elf : le maître d'oeuvre du système, Alfred Sirven, dont la trace se perd aux Philippines. Sa fuite constitue une forme d'aveu.

Roland Dumas devra donc répondre des charges de complicité et recel d'abus de biens sociaux. Il risque au maximum une peine de cinq ans de prison et une amende de 2,5 millions de francs. L'enquête de la justice a établi que sa maîtresse avait reçu 64,5 millions de francs d'Elf entre 1989 et 1993. Mais il semble démontré également, pour les magistrats enquêteurs, que le ministre a favorisé l'embauche de celle-ci par Elf et que celui-ci a reçu en échange des cadeaux du pétrolier par son intermédiaire.

De cette affaire, on a surtout retenu que Christine Deviers-Joncour pouvait offrir une paire de bottines à 11 000 F à son amant Roland Dumas avec les cartes de crédit de la société Elf, à qui elle servait d'intermédiaire pour la transmission de pots-de-vin.

Le groupe pétrolier lui aurait ainsi offert, outre les fameuses bottines de chez Berlutti, des oeuvres d'art (notamment des statuettes estimées à 250 000 francs, mais également un collage d'Edouard Pignon), de multiples dîners dans des restaurants de luxe et, surtout, l'appartement de 320 m2 dont le ministre disposait rue de Lille, payé par Christine Deviers-Joncour 17 millions de francs, à partir d'un compte suisse alimenté par Elf.

L'ancien ministre a essayé de faire rentrer dans le cadre de cette affaire qui l'implique celle de la vente de frégates par Thomson à Taiwan, où il pensait pouvoir apparaître sous un meilleur jour, mais cette proposition n'a pas été acceptée par le tribunal.

Autre coup dur, certains de ses pairs, Michel Rocard et Michel Charasse qui auraient dû témoigner en sa faveur, ont fait savoir, comme la loi le leur permet, qu'ils ne viendront pas. Le proche de Mitterrand comme son adversaire au sein du Parti Socialiste se retrouvent pour une fois unis... dans la dérobade.

La seule bonne nouvelle de la première journée de procès pour l'ancien président du Conseil constitutionnel a été que son ex-maîtresse ait servi une nouvelle version de l'histoire et chargé un absent qui ne peut manquer d'avoir tous les torts : elle prétend maintenant que c'est Sirven et non pas Dumas qui l'aurait fait entrer chez Elf. Pas avare de versions de cette affaire, elle a déjà vendu deux livres divergents sur le sujet et en prépare un troisième. Maintenant que les largesses d'Elf se sont éloignées, il faut bien vivre...

On peut retenir de cette affaire qu'outre l'incommensurable vénalité du monde des affaires et de la politique, elle a montré qu'une grande entreprise capitaliste peut sans vergogne débourser sans compter des dizaines de millions, voire des milliards, pour décrocher un contrat (ici, cela concerne aussi bien Elf que Thomson qui a dépensé plus de trois milliards de francs de commission dans l'affaire des frégates) et prétendre ne pas disposer d'argent pour augmenter les salaires de son personnel.

Et, puisqu'une compagnie pétrolière est sur la sellette, il faut garder à l'esprit que ces compagnies qui versent des pots-de-vin à la louche sont les mêmes qui rognent sur les coûts en faisant appel aux services de bateaux pourris, au risque de polluer gravement les mers et les littoraux.

Une utilisation aussi aberrante des biens sociaux, c'est-à-dire un tel mépris pour la richesse produite par les salariés comme pour l'intérêt collectif justifie tout à fait la seule mesure utile à prendre à leur endroit : les exproprier. Cela serait bien plus utile à la collectivité que d'envoyer une poignée de corrompus de luxe séjourner dans une prison dorée. Et cela si, d'ici la fin du procès, on ne leur trouve pas des circonstances atténuantes.

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