Maroc : Un congrès international des droits de l’homme... dans un pays qui les piétine26/01/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/01/une-1698.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Maroc : Un congrès international des droits de l’homme... dans un pays qui les piétine

La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) vient de clore son 34e congrès au Maroc.

Le congrès s'est ouvert en présence du Premier ministre "socialiste", Abderrahmane Youssoufi, qui à peine un mois auparavant avait fait interdire trois journaux indépendants pour avoir critiqué l'Etat et l'armée. En tenant congrès au Maroc, la FIDH a voulu souligner que les choses ne seraient plus comme avant dans ce pays. C'était aussi, sans doute, une façon de faire un geste en direction de la monarchie chérifienne, même si elle s'en défend. Mais en faisant monter à la tribune des "témoins" qui ont critiqué le régime, comme cet ancien prisonnier de Tazmamart ou le directeur du Journal victime de la censure gouvernementale, la FIDH a tout de même laissé entendre qu'il y avait encore des progrès à faire.

La presse marocaine, du très officiel Matin du Sahara à Libération, le quotidien de l'Union socialiste des forces populaires (USFP), le parti du Premier ministre, en a profité pour vanter les progrès de la monarchie en matière des droits de l'homme, mettant en avant le retour de l'opposant Abraham Serfaty et la fin de la mise en résidence surveillée du chef islamiste Cheikh Yassine.

En autorisant ce type de manifestation internationale sur son territoire, la monarchie cherche à redorer une image ternie par les décisions autoritaires de ces derniers mois (expulsion du chef du bureau de l'AFP à Rabat, interdiction de trois hebdomadaires marocains indépendants : Le Journal, Assahifa, Demain).

Bien qu'elle ait fait un geste en sens inverse en autorisant à nouveau la parution de deux des trois hebdomadaires interdits avant la fin du congrès de la FIDH, la monarchie chérifienne continue de bafouer les droits démocratiques les plus élémentaires. Le gouvernement a violemment réprimé plusieurs rassemblements pacifiques, dont celui appelé, le 9 décembre dernier, par l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH). Cette association réclamait une commission parlementaire sur les abus des "années noires". Près de cinquante manifestants ont été arrêtés ce jour-là. Au Sahara occidental, arrestations arbitraires et disparitions d'opposants demeurent la règle. Et ces derniers jours, en marge même du congrès de la FIDH, le pouvoir a interdit un rassemblement de protestations devant Dar-el-Mokri, un ancien centre de torture situé à Rabat.

Lors de l'intronisation de Mohammed VI, on laissait croire que les choses allaient enfin changer en matière de libertés démocratiques, de liberté de la presse, de droit de réunion et d'organisation ; que les années de plomb du temps d'Hassan II étaient révolues. Le limogeage de Driss Basri, l'ancien ministre de l'Intérieur, responsable de nombreuses exactions (qui s'est depuis reconverti en professeur de droit à l'université) avait été interprété comme un pas dans ce sens. Les discours d'ouverture et les petits gestes répétés du roi en faveur des libertés, la mise à l'écart de certaines personnalités et hauts fonctionnaires parmi les plus corrompus, ou encore le retour d'anciens opposants, ont conforté l'idée du changement.

La monarchie a mis très vite un coup de frein à tout cela, soufflant le chaud et le froid. Il faut dire que sa marge de manoeuvre est étroite. Elle doit composer avec des forces sociales contradictoires, voire opposées. D'un côté, Mohamed VI essaye d'apparaître comme un monarque moderne, souhaitant prendre des distances avec le passé dictatorial de son père et ouvrir le Maroc sur l'Europe. Mais il veut aussi éviter que la population s'engouffre dans la brèche pour demander des comptes sur ce qu'elle a eu à subir - et continue de subir - comme exactions et humiliations, misère et pauvreté. Et puis surtout, Mohamed VI s'appuie sur le même appareil d'Etat que par le passé : une police politique, une gendarmerie royale et une armée composées de fonctionnaires et d'anciens tortionnaires ayant loyalement servi la dictature d'Hassan II et qui n'ont pas envie que l'on s'intéresse de trop près à leur passé. Principal obstacle à tout changement, l'armée reste la seule force capable de défendre le pouvoir royal en cas de révolte populaire.

Voilà pourquoi Mohamed VI, tout en se présentant comme le "champion des droits de l'homme", continue à s'entourer de militaires tortionnaires comme Hosni Benslimane, général en chef de la Gendarmerie royale, ou Hamidou Laânigri de la Sécurité intérieure, qu'il a lui-même mis à la tête de la DST, il y a un peu plus d'un an. Et la continuité l'emporte sur le changement.

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