Haut-Karabakh : le déchaînement des nationalismes27/09/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/09/2878.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Haut-Karabakh : le déchaînement des nationalismes

En quelques jours, les forces armées azerbaïdjanaises viennent d’écraser celles du Haut-Karabakh, une petite enclave arménienne qui avait fait sécession de l’Azerbaïdjan il y a trois décennies, lors de l’effondrement de l’Union soviétique. Des dizaines de milliers d’habitants du Haut-Karabakh ont aussitôt fui pour se réfugier en Arménie.

L’Azerbaïdjan s’était saisi d’un prétexte – la mort de soldats dans l’explosion d’une mine – pour lancer une « opération anti-terroriste » éclair. La guerre de 2020, gagnée par Bakou, avait déjà fortement réduit la surface de cette enclave et rompu la continuité territoriale du Haut-Karabakh avec l’Arménie voisine. Désormais, c’en est fini de l’indépendance que le Haut-Karabakh avait proclamée en 1991. Mais ce n’en est pas fini avec la guerre, car Bakou a d’ores et déjà annoncé qu’il entendait instaurer un corridor entre l’Azerbaïdjan et la zone azérie du Nakhitchevan, enclavée entre la Turquie, l’Iran et l’Arménie. Or, dans l’état des frontières issues de la décomposition de l’URSS, un tel corridor ne peut s’ouvrir qu’au travers et aux dépens de l’Arménie. Et, forcément, celle-ci ne peut que s’y opposer militairement.

Ce petit bout d’Europe, de par sa situation géographique – les deux chaînes de montagnes du Caucase formant un pont entre la mer Caspienne et la mer Noire – a toujours été un lieu de brassage de populations diverses, dans leurs tribulations entre l’Asie, le Proche-Orient et l’Europe. Il s’ensuit que le Caucase est une mosaïque de peuples, qui s’y sont installés à diverses époques et s’y sont mélangés, ou au moins qui y cohabitaient.

S’agissant du Haut-­Karabakh, la formation de l’Union soviétique dans la foulée de la révolution d’Octobre 1917 avait regroupé des populations arméniennes dans un territoire distinct de l’Arménie, rattaché administrativement à l’Azerbaïdjan qui l’entourait, mais disposant d’une très large autonomie. Et, surtout, aucune barrière étatique ne s’opposait aux déplacements des habitants, à leur liberté d’aller et venir entre l’Arménie et le Haut-Karabakh ou entre, l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan.

Cette situation valait pour une centaine d’autres peuples vivant en URSS, qui avaient leur propre territoire ou qui vivaient dans des entités administratives avec une autre ethnie majoritaire, sans que cela porte autrement à conséquence. En tout cas, tant que la Russie soviétique, puis l’URSS, cherchaient à donner le maximum de droits à toutes les composantes nationales de la population. Avec l’installation du stalinisme au tournant des années 1930, la bureaucratie usurpatrice du pouvoir de la classe ouvrière maintint formellement le cadre hérité de la révolution, même si en maintes occasions Staline et son régime étouffèrent les aspirations des nationalités, en déportant certaines du Caucase et d’ailleurs.

L’implosion de l’Union soviétique, voulue par les chefs de la bureaucratie, fit très rapidement évoluer la situation de façon tragique. En Asie centrale et dans le Caucase, les chefs locaux de la bureaucratie cherchèrent à se tailler des fiefs dans « leur » république, en se présentant en défenseurs intraitables de l’ethnie majoritaire, afin que celle-ci leur apporte son soutien, contre le « centre », c’est-à-dire Moscou, et contre les minorités habitant sur leur territoire.

C’est ce qui se produisit à partir de 1989-1990 en Azerbaïdjan, où le clan du chef du Parti communiste local, Aliev, voulut rameuter la population azérie en fomentant des pogromes anti-arméniens à Bakou et Soumgaït. Sachant ce qui les attendait, les ­Arméniens du Haut-Karabakh proclamèrent leur indépendance en décembre 1991, quand l’URSS cessa d’exister. Une guerre éclata, qui fit des dizaines de milliers de morts. Elle déboucha en 1994 sur un cessez-le-feu, pas même sur une paix formellement conclue, puis la situation resta en l’état, ponctuée d’accrochages réguliers.

Les forces arméniennes avaient alors gagné des pans de territoire pour relier le Haut-Karabakh à l’Arménie. La Russie, qui se trouvait dans ce qu’elle considérait comme sa zone d’influence naturelle et qui soutenait plus ou moins Erevan, avait des troupes sur place qui garantissaient un certain statu quo. Mais depuis 2014 Moscou s’est concentré sur l’Ukraine, qui avait choisi le camp occidental. Et, avec la guerre ouverte actuelle, la Russie n’a plus les forces ou la volonté de s’imposer dans le Caucase. D’autant plus que, derrière l’Azerbaïdjan, le soutenant militairement et politiquement, il y a la Turquie, membre de l’OTAN mais aussi partenaire jusqu’à un certain point de Moscou dans le conflit ukrainien.

Les soldats russes sont donc restés l’arme au pied face aux troupes de Bakou. Nul ne sait comment évoluera ce conflit. Mais une chose est certaine : alors qu’il semblait gelé, il est redevenu un point chaud sur la carte, un de plus. Et les peuples de la région, qu’ils soient arménien, azéri ou autres, ne peuvent que faire les frais d’un incendie qui risque de s’étendre.

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