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Leur société
Les comptes arrangés de la campagne présidentielle de 1995 : Leur « démocratie » en action
Sur la piste des pots de vin versés dans des affaires de ventes d'armes au Pakistan et à l'Arabie Saoudite dans les années 1990, les juges sont remontés jusqu'aux comptes de campagne du candidat Balladur, lors de l'élection présidentielle de 1995. Il apparaît désormais clairement que dix millions de francs se sont retrouvés à l'époque dans les caisses de Balladur, sans aucune mention d'origine.
Ce dernier, pour toute défense, avance que ses comptes avaient été à l'époque certifiés par le Conseil constitutionnel. Arguant du secret des délibérations, l'actuel président de cet organisme, Jean-Louis Debré, a refusé de laisser les juges accéder aux archives des délibérés des « sages » sur les comptes de campagne.
Mais un membre du Conseil de l'époque semble retrouver peu à peu la mémoire. Jacques Robert, juriste, membre du Conseil constitutionnel de 1989 à 1998, raconte aujourd'hui que les rapporteurs des comptes ont demandé par trois fois à Balladur de justifier les dix millions de francs autrement que par la vente de tee-shirts à son effigie. Aucune réponse ne leur fut apportée. Roland Dumas, ex-ministre et ami de Mitterrand, président du Conseil constitutionnel en 1995, avait donc demandé aux rapporteurs d'arranger les comptes de Balladur de façon à les rendre conformes. Ce qu'ils firent, en s'y reprenant à deux fois tant la tâche était rude, même pour des experts. Dumas aurait convaincu ses collègues de valider ce maquillage en affirmant que retoquer les comptes de Balladur aurait conduit obligatoirement à refuser ceux de Chirac, pas beaucoup plus nets, et donc à annuler l'élection de ce dernier, chose impensable.
Dans un livre de souvenirs, Dumas écrit qu'il avait « pensé que la France serait dans un tel désarroi, compte tenu des passions qui existaient à ce moment-là, qu'il n'était pas raisonnable que nous nous opposions au vote des Français ». Ce qui corrobore les souvenirs de Jacques Robert et les soupçons des juges.
Signalons que pendant qu'ils jetaient un voile pudique sur les dix millions en trop de Balladur, les « sages » prenaient moins de pincettes avec les comptes d'Arlette Laguiller. Tout en indiquant que les comptes de notre candidate étaient en ordre et que leur montant atteignait à peine le tiers du maximum de ce que l'État pouvait rembourser, ils refusèrent d'en rembourser une partie, soit six millions de francs. Leur argutie était que cette somme avait été dépensée par Lutte Ouvrière et non pas par sa candidate ! Et leur jugement fut sans appel.
Ainsi va leur démocratie. Les candidats riches sont blanchis, quelle que soit la provenance de leurs fonds. Une candidate communiste révolutionnaire qui a eu le toupet de passer la barre des 5 % se voit infliger une amende de six millions de francs. Et les « sages », droite et gauche unies, couvrent le tout du manteau de la loi, de la justice et de la Constitution au nom de la sacro-sainte stabilité de l'État.
Car derrière leurs pitoyables magouilles, c'est bien cela l'enjeu : la pérennité d'un État chargé de défendre le vol généralisé sur lequel se fonde la société capitaliste.