Il y trente ans en Pologne, le 13 décembre 1981 : Le coup d'État antiouvrier de Jaruzelski14/12/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/12/une2263.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y trente ans en Pologne, le 13 décembre 1981 : Le coup d'État antiouvrier de Jaruzelski

Il y a trente ans, le 13 décembre 1981, le général Jaruzelski proclamait l'état d'urgence en Pologne. C'était alors une « démocratie populaire », un de ces pays faisant partie de la zone d'influence de l'Union soviétique et dont les régimes se prétendaient socialistes ou communistes, mais qui étaient surtout des régimes antiouvriers.

Dans la nuit, l'armée s'était déployée dans tout le pays, avait barré les routes, coupé les communications téléphoniques et commencé les arrestations des militants ouvriers membres et dirigeants du nouveau syndicat Solidarité. Le général Jaruzelski annonçait que l'état de siège était instauré « pour sauver la Pologne » des « grèves et des actions de protestation ». Car, pour ce général qui venait d'être nommé à la fois Premier ministre et premier secrétaire du Parti communiste au pouvoir, et pour la classe dirigeante polonaise tout comme pour la bureaucratie soviétique, qui n'admettait aucune contestation dans sa zone d'influence, la classe ouvrière représentait une trop grande menace.

En effet, de 1956 à la fin de l'année 1970, où explosa la colère ouvrière dans les chantiers navals situés le long de la Baltique, et de 1976, où des milliers de travailleurs se soulevèrent de nouveau contre la décision du gouvernement d'augmenter le prix des produits alimentaires, jusqu'aux grandes grèves de l'année 1980, la classe ouvrière polonaise n'avait cessé de montrer sa combativité et sa puissance sociale.

Une puissante poussée ouvrière

Au début de l'été 1980, ce fut la décision du gouvernement d'augmenter le prix de la viande qui mit le feu aux poudres dans une Pologne déjà touchée de plein fouet par la crise économique. Du mois de juillet à la mi-août 1980, près de 200 entreprises se mirent en grève pour des augmentations de salaires. Mais le 14 août 1980, ce furent les 17 000 ouvriers des chantiers navals Lénine de Gdansk qui se mirent à leur tour en grève, donnant alors une tout autre ampleur au mouvement.

Cette grève partit à l'initiative de militants parmi lesquels se trouvaient des ouvriers licenciés des chantiers navals des années auparavant, tel Lech Walesa. Ils étaient liés au KOR, le Comité de défense des ouvriers, organisation fondée après les grèves de 1976 par des intellectuels, oppositionnels au Parti communiste polonais au pouvoir, ou bien catholiques ou encore sociaux-démocrates. Tout en mettant en avant les revendications des travailleurs, sur le plan politique, leurs revendications se confondaient avec celles d'une classe dirigeante polonaise qui souhaitait surtout un régime émancipé de l'emprise soviétique et qui leur permette d'ouvrir grande la porte aux capitalistes occidentaux.

Dès le déclenchement de la grève aux chantiers navals, le 14 août, un comité de grève fut élu dont Lech Walesa fit partie, bien que licencié. La grève menaçant de se généraliser, le gouvernement tenta d'éteindre le feu ; une négociation fut entamée, négociation qui ne se fit pas dans le secret des salons mais sous la pression des milliers de grévistes rassemblés qui suivaient pas à pas les discussions retransmises à l'extérieur par haut-parleurs. Les travailleurs acceptèrent les 1 500 zlotys d'augmentation proposés, mais continuèrent la grève par solidarité avec les autres usines.

Le mouvement prit alors une nouvelle ampleur. Dans la région de Gdansk, un comité de grève inter-entreprises fut élu, le MKS, avec une liste de 21 revendications qui n'étaient plus seulement économiques, mais aussi politiques : droit de grève, droit d'expression, possibilité de créer des syndicats libres, réintégration des ouvriers licenciés. Le mouvement s'étendit dès lors à tout le pays ; des dizaines de milliers d'ouvriers apprirent à s'organiser, à créer des comités de grève à l'échelle de villes entières. Fin août, le gouvernement cédait. Le vice-Premier ministre en personne dut se déplacer aux chantiers navals pour négocier et accepter toutes les revendications des grévistes. Et de tels accords furent signés dans tous les grands centres ouvriers du pays.

Jaruzelski muselle la classe ouvrière

Cette poussée du mouvement ouvrier semblait ne pas devoir faiblir. Cela inquiétait la bureaucratie soviétique qui, dans le passé, n'avait jamais toléré de tels mouvements de contestation dans les pays de sa zone d'influence politique, et bien souvent avait envoyé ses chars pour les réprimer. Mais elle inquiétait aussi les représentants du régime polonais et de sa classe dirigeante. Jaruzelski résolut leur problème, en quelque sorte, en déclenchant son coup d'État militaire du 13 décembre 1981. Avec l'interdiction des syndicats, les arrestations de dirigeants de Solidarité, dont Walesa, mais aussi de dizaines de milliers de militants ouvriers, pour plusieurs années pour certains, Jaruzelski atteignit son but, museler la classe ouvrière. En même temps, il rassura la bureaucratie soviétique, démontrant que l'État polonais pouvait mettre les travailleurs à la raison sans que celle-ci ait besoin d'envoyer ses chars, comme en Hongrie dans le passé.

La classe ouvrière avait pourtant les moyens de se défendre. Mais les dirigeants de Solidarité et Walesa n'avaient nullement préparé les travailleurs au danger d'un coup d'État militaire, et lorsque celui-ci survint, ils cherchèrent à éviter l'affrontement avec le pouvoir. Cette attitude ne fut pas une « erreur », mais une politique consciente de leur part. Car leur but, en s'opposant à un régime qui, bien que se proclamant socialiste, était un régime dictatorial vivant sous la pression constante de la bureaucratie soviétique, n'était pas d'aller vers un régime réellement socialiste, un régime où les travailleurs, en prenant le pouvoir, auraient apporté leurs solutions aux problèmes de l'ensemble des classes populaires polonaises.

Les dirigeants de Solidarité se plaçaient en effet sur le terrain du nationalisme, utilisant l'autorité de l'Église catholique pour canaliser la combativité des travailleurs polonais, leur faisant croire qu'ils avaient les mêmes intérêts que la classe dominante polonaise ou que les représentants de l'Église. Ce qu'allaient devenir nombre de dirigeants de Solidarité est d'ailleurs édifiant ; lorsque Jaruzelski dut abandonner le pouvoir en 1990, nombre d'entre eux devinrent des dignitaires du régime. Walesa devint président de la République. La classe ouvrière, elle, ne se remit pas de ses désillusions.

Reste de ces événements, vieux de trente ans, la démonstration faite par les ouvriers polonais des années 1980 de la puissance de leur classe, mais aussi, le plus important, celle de la nécessité de se donner une direction décidée à aller jusqu'au bout, jusqu'à instaurer un véritable pouvoir ouvrier capable de changer la société de fond en comble.

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