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Yémen : Le dictateur Saleh ne lâche pas, mais la contestation non plus
Dimanche 3 avril, les forces de l'ordre fidèles au dictateur Ali Abdallah Saleh, qui règne sur le Yémen depuis trente-deux ans, ont à nouveau tiré sur les manifestants, faisant un mort et plusieurs dizaines de blessés à Taez, au sud de la capitale Sanaa.
Le mouvement de protestation contre cette dictature dure maintenant depuis la fin du mois de janvier. Le 18 mars il s'est plutôt durci, après le massacre dans la capitale de 52 manifestants. Mais Saleh est un dictateur retors. Quand il ne réprime pas les manifestants, il les lanterne. Il avait déjà déclaré qu'il rendrait le pouvoir après les élections prévues pour la fin de l'année. Maintenant il laisse entendre que, si on lui disait qui va lui succéder, il pourrait partir... à condition que ce soit dans le cadre d'un « processus constitutionnel ». Ultime habileté, il a reçu un des jeunes contestataires de la place du Changement, le nouveau nom de la place de l'Université de Sanaa, à qui il a expliqué que, s'il devait céder le pouvoir, ce serait plutôt aux jeunes qu'aux partis de l'opposition.
En réalité, Saleh veut évidemment garder le pouvoir. Il a montré dans le passé qu'il est prêt à tout pour cela. Il s'est allié aussi bien aux Frères musulmans qu'aux États-Unis dans ce but. En même temps, il a toujours su placer ses hommes à tous les postes-clés de l'armée et des forces de sécurité, et acheté la paix avec les tribus locales en distribuant à leurs représentants argent et emplois publics. L'alliance avec Washington était venue bien à propos pour relayer une économie défaillante, puisqu'elle s'accompagnait de versements d'argent destinés théoriquement à lutter contre le terrorisme mais qui ont surtout servi à prolonger la dictature de Saleh.
Mais depuis quelques semaines ce système s'effrite. Plusieurs districts et provinces du pays échappent désormais à son contrôle. À Aden par exemple, un fort mouvement séparatiste se manifeste. En même temps des parlementaires, des diplomates, des chefs tribaux ont lâché le dictateur. Le signe le plus marquant a été la défection de plusieurs hauts gradés de l'armée, et notamment le général Ali Mohsen Al-Ahmar, demi-frère du président et chef de l'armée du Nord-Ouest, qui s'est joint à la jeunesse dans la rue le 21 mars. Des tractations sont en cours entre ce général et le dictateur, avec la bénédiction de Washington.
Sa succession ouvre des appétits dans les sommets de l'État et dans les partis d'opposition. On trouve en lice, outre le général, le secrétaire général du Parti Socialiste Yémenite, Yacine Saïd Numan. Ce parti, très implanté dans le Sud, ronge son frein depuis la réunification en 1990 des deux Yémen, qui a surtout profité à Saleh et à ses hommes plutôt qu'aux anciens cadres du Yémen du Sud. Il est à la tête de la Rencontre commune, un cartel des partis d'opposition. Enfin, le parti islamiste Al-Islah entend bien jouer sa carte. Et même dans les rangs du parti au pouvoir, le Congrès populaire général, on en est à demander la transmission du pouvoir au vice-président de Saleh.
Tous ces candidats à la succession du dictateur voudraient que les manifestations de protestation, qui durent depuis des semaines, débouchent sur une transition en douceur qui leur soit favorable. Cela rejoint les préoccupations des États-Unis qui craignent que, en s'approfondissant, le mouvement n'entraîne une déstabilisation durable au Yémen, voire débouche sur l'émergence des revendications des plus déshérités qui, dans un pays où le chômage est officiellement à 35 %, ne manquent pas.