Le "devoir de mémoire", c'est se souvenir de tout !27/01/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/01/une1904.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Le "devoir de mémoire", c'est se souvenir de tout !

Le soixantième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz a donné lieu à une multitude d'émissions de télévision, d'articles de journaux, au nom du "devoir de mémoire", pour éviter, nous dit-on, que de tels faits puissent se reproduire. Et c'est vrai qu'il faut se souvenir, mais pas seulement de l'abominable existence des camps de concentration, de la barbarie nazie, mais aussi des raisons qui ont permis cela.

En guise d'explication, on nous dit qu'Hitler était plus ou moins fou, que les dirigeants nazis étaient des sadiques. Mais quasiment aucun de ceux qui commentent aujourd'hui ces événements ne nous explique comment et pourquoi ce fou et ces sadiques ont pu se retrouver au pouvoir dans un des pays les plus civilisés du monde.

La vérité est que, bien avant l'arrivée de Hitler au pouvoir, les milices nazies ont bénéficié d'aides financières considérables de la part du grand patronat allemand, des Krupp et des Thyssen, qui y voyaient un instrument capable de s'opposer à la classe ouvrière allemande. Ces milices avaient recruté des milliers de petits commerçants enragés, car ruinés par la crise économique qui avait éclaté en 1929, mais aussi recruté dans les bas-fonds de la société. Le patronat n'a jamais été très exigeant sur la moralité de ses hommes de main!

La vérité, c'est aussi qu'Hitler est arrivé le plus légalement du monde au pouvoir. Non pas parce que les Allemands avaient majoritairement voté pour lui (le parti nazi n'a jamais eu la majorité absolue dans des élections libres), mais parce que le président de la République allemande, le maréchal Hindenburg, l'a nommé chef du gouvernement, et que tous les partis de droite lui ont apporté leur soutien, pour mener une politique qui visait à briser les puissantes organisations de la classe ouvrière allemande.

C'est dès le lendemain de cette arrivée au pouvoir, en 1933, que les nazis ouvrirent les premiers camps de concentration, pour -comme l'a fait Pinochet au Chili- y enfermer par milliers des militants ouvriers, communistes, socialistes, syndicalistes, tous ceux qui s'opposaient à eux, promis pour beaucoup à la mort par les coups ou l'épuisement. Et pour faire fonctionner ces camps de concentration on créa des unités de SS spécialisées, dans lesquelles se retrouvèrent évidemment tous les désaxés et les sadiques, ravis de pouvoir y assouvir leurs fantasmes.

Mais tout cela n'émouvait pas, à l'époque, les futurs Alliés. Quinze ans après la crise révolutionnaire qui avait secoué l'Europe et abouti à la naissance de l'URSS, ils ne voyaient pas d'un mauvais oeil l'instauration d'un régime qui avait brisé les organisations de la classe ouvrière allemande. Hitler était alors pour eux tout à fait respectable. Ils n'ont pas bougé pour l'abattre dès le début. Quand celui-ci commença à donner à l'armée allemande les moyens de remettre en cause le nouveau partage du monde que la France et l'Angleterre avaient imposé après la Première Guerre mondiale à l'Allemagne vaincue, les futurs Alliés ne s'y opposèrent même pas, le laissant dépecer en 1938-39 la Tchécoslovaquie sans intervenir.

Ce ne fut que lorsque l'invasion de la Pologne montra que l'expansionnisme nazi était sans limite, qu'ils se découvrirent antihitlériens. Mais ils portent eux aussi leur part de responsabilité dans la naissance de ce régime, dont le massacre de plusieurs millions de Juifs fut le principal et le plus horrible crime, quoique pas le seul.

C'est de cela aussi qu'il faut se souvenir, du fait que les classes possédantes sont prêtes à utiliser les pires tortionnaires pour défendre leurs privilèges. Et si le régime nazi s'est effondré en 1945, les Pinochet, les généraux argentins... les Aussaresses et les sinistres méthodes de l'armée des USA en Irak doivent nous rappeler que la barbarie n'appartient pas qu'à un passé révolu et qu'elle peut se parer d'autres signes que la croix gammée.

Cette barbarie, c'est le fruit du système capitaliste. Et le risque de la voir resurgir ne disparaîtra qu'avec celui-ci.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 24 janvier 2005

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