Il y a trente ans, 4 mars 1984 : la première manifestation des défenseurs de l'école privée : reculade sans combat du gouvernement socialiste05/03/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/03/une2379.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Il y a trente ans, 4 mars 1984 : la première manifestation des défenseurs de l'école privée : reculade sans combat du gouvernement socialiste

Le mouvement pour la défense de l'école libre, dont les premières grandes manifestations eurent lieu le 4 mars 1984, semblerait avoir préfiguré celui des « manifs pour tous » que l'on connaît depuis 2013, tant les deux présentent de similitudes. Dans les deux cas, un gouvernement de gauche au pouvoir commence à décevoir ses électeurs et la droite en profite pour monter une opération politique. Abandonnant le cadre des débats feutrés du Parlement, elle appelle tout ce que le pays compte de réactionnaires à descendre en masse dans la rue, sur un thème dit « de société » qui ne l'engage en rien vis-à-vis du patronat, ni même de ses électeurs. Et en 1984 comme en 2013, on voit le gouvernement socialiste reculer piteusement devant cette fronde.

Après plus de trente ans de régime gaulliste, l'élection de Mitterrand en mai 1981 avait suscité nombre d'espoirs dans la population, espoirs alimentés entre autres par la propagande du Parti communiste qui avait tout fait pour gommer le passé peu glorieux de ce politicien retors pour lui permettre de s'affubler d'une étiquette « socialiste ». Pourtant, de sa participation au gouvernement de Vichy pendant la Deuxième Guerre mondiale à sa défense de l'Algérie française sous la IVe République, Mitterrand avait largement prouvé qu'il était un défenseur loyal des intérêts de la bourgeoisie.

La gauche discréditée...

En juillet 1982, le gouvernement socialiste de Mauroy, qui comportait aussi quatre ministres communistes, montra clairement dans quel camp il se situait en décrétant le blocage des salaires, première d'une longue série d'attaques contre la population laborieuse. Les deux partis payèrent sur le plan électoral dès l'année suivante le prix de leur politique. Les élections municipales de mars 1983 se traduisirent par une « vague bleue », la droite regagnant 31 des villes de plus de 30 000 habitants qu'elle avait perdues lors des précédentes élections de 1977, et obtenant 63,1 % des élus sur le plan national.

Pour tenter de reconquérir un électorat attaché à la notion de laïcité, Mitterrand sortit de ses cartons la 90e de ses 101 propositions de gouvernement, celle d'un grand « service public unifié et laïque de l'éducation nationale », chargeant son ministre Alain Savary de le mettre en oeuvre début 1984. Le projet de loi, pas vraiment audacieux, consistait à faire nommer le personnel des écoles privées par le ministère de l'Éducation nationale, comme cela se pratique pour les établissements publics. Si les chefs d'établissements perdaient l'une de leurs prérogatives, ils y gagnaient en compensations financières. L'opposition principale au projet ne vint d'ailleurs pas d'eux mais du haut clergé catholique, qui contrôlait huit écoles privées sur dix, et des partis de droite et d'extrême droite.

Dès l'élection de Mitterrand, les catholiques défenseurs de l'école privée avaient commencé à mener leur propagande, disant par exemple se mobiliser pour que « le lycée Sainte-Croix-Saint-Euverte [d'Orléans] ne soit pas rebaptisé lycée Lénine, avec des chars russes dans la cour », et ils appelèrent « le peuple de Dieu » à se mettre en marche le 4 mars 1984. La droite et l'extrême droite ne manquèrent pas de sauter sur l'occasion de se renforcer politiquement auprès du marigot de bigots réactionnaires qui est leur milieu social habituel, et de cristalliser autour d'eux le mécontentement suscité par la politique antiouvrière de la gauche au pouvoir. Ils le firent d'autant plus facilement que le thème – la défense de l'école privée – ne mettait en aucun cas le pouvoir économique de la bourgeoisie en péril.

... recule devant la levée de boucliers de la droite

Combien de personnes défilèrent-elles lors de la grande manifestation de Versailles du 4 mars 1984 ? Comme toujours, les chiffres varient de quelques dizaines à quelques centaines de milliers de manifestants. Toujours est-il que la mobilisation des réactionnaires fut pour eux une réussite. Les partis de droite, qui avaient mobilisé leurs forces pour y appeler, s'y firent pourtant discrets, choisissant de s'abriter derrière la fiction selon laquelle le peuple attaché à ses libertés, dont celle de l'enseignement, s'élevait spontanément contre le pouvoir étatique.

Au sein de la gauche, le succès de cette manifestation créa un malaise, à tel point que le Comité national d'action laïque, soutenu par le PS et le PCF, appela à des contre-manifestations le 25 avril dans une centaine de villes de France. Si elles rassemblèrent autant de monde, elles furent avant tout présentées comme une défense de la laïcité et un soutien au gouvernement, et n'eurent aucune suite. Après la présentation du projet de loi à l'Assemblée nationale, la droite et les catholiques unis appelèrent pour le 24 juin à une grande manifestation à Paris. Celle-ci regroupa des centaines de milliers de personnes. La droite y apparut cette fois ouvertement, Chirac, Giscard d'Estaing, Chaban-Delmas et d'autres défilant aux côtés de Lustiger, l'archevêque de Paris, et de sommités catholiques connues pour leur virulence réactionnaire. Le Front national, lui, choisit de faire un cortège séparé, pour compter ses troupes.

Devant cette démonstration de force, Mitterrand se garda bien d'appeler la fraction de la population qui se sentait de gauche à se mobiliser pour combattre la montée des idées réactionnaires. Il capitula immédiatement. Début juillet, il prit la décision de retirer son « grand projet » sans même en avertir Alain Savary, le ministre de l'Éducation nationale, qui dira plus tard dans ses mémoires qu'il en avait appris le retrait par la télévision !

La création d'un service public unifié et laïque de l'éducation nationale avait été pour Mitterrand et son gouvernement une manoeuvre de diversion vis-à-vis de son électorat, au moment où la classe ouvrière subissait des attaques sur des problèmes importants. Le parallèle est aisé avec le projet de loi sur le mariage pour tous – que Hollande a cependant maintenu – ou ceux sur l'adoption d'enfants ou la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels, qui se sont traduits par une reculade du gouvernement.

Le comportement des politiciens de gauche au gouvernement a décidément une constante : ils tentent de dissimuler leurs reculades devant les intérêts patronaux en mettant en avant des réformes « sociétales »... avant d'en abandonner tout ou partie devant les froncements de sourcils de la droite.

Partager