Russie : La « justice » selon Poutine et « l'opposition » selon l'Occident31/12/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/12/une-2213.gif.445x577_q85_box-0%2C8%2C173%2C232_crop_detail.png

Dans le monde

Russie : La « justice » selon Poutine et « l'opposition » selon l'Occident

Mikhaïl Khodorkovski, ex-patron du groupe pétrolier Ioukos, que Libération qualifie à sa une de « symbole de l'opposition anti-Poutine », vient d'être condamné à quatorze années d'emprisonnement pour un supposé détournement de 200 millions de tonnes de pétrole. Fin 2003, le même avait déjà écopé de huit ans de prison, sous un prétexte cette fois fiscal, parce qu'il avait imaginé pouvoir se dresser en rival face à Poutine, alors président de la Fédération de Russie.

Dire que cette condamnation illustre le caractère arbitraire du régime, autant enfoncer une porte ouverte. C'est tous les jours que les tribunaux russes condamnent des innocents, le petit doigt sur la couture du pantalon face à qui détient le pouvoir politique. Et sans que la presse occidentale s'en émeuve.

Quant à la police, aussi soumise et corrompue que cette « justice », elle a arrêté sans ménagement les très rares personnes qui avaient eu l'idée de manifester en faveur de Khodorkovski près du tribunal. Une idée saugrenue pour qui sait ce dont sont capables des policiers russes qui, malgré leur quasi-impunité, défrayent régulièrement la chronique journalistique des crimes, assassinats, extorsion de fonds, etc. Et doublement saugrenue quand on sait comment Khodorkovski était devenu, avant son arrestation, l'homme le plus riche de Russie selon le magazine américain Forbes.

C'est à la faveur de l'effondrement de l'Union soviétique, voici vingt ans, que, parmi une foule de prédateurs lancés à la curée sur les biens de l'État, certains plus habiles, ou plus chanceux que d'autres, ont tel Khodorkovski réussi à se hisser au sommet affairisto-mafieux d'une société russe en décomposition. Cela, avec la complicité intéressée de divers secteurs du pouvoir politique, sans la protection duquel jamais les futurs « oligarques » n'auraient pu accumuler pareilles fortunes.

Victime de son ambition et d'une mémoire défaillante lui ayant fait oublier ce qu'il devait et à qui il le devait, Khodorkovski a filé directement de son jet privé, au pied duquel la police l'avait arrêté, vers une colonie pénitentiaire sibérienne. Cela l'a rappelé aux réalités, celles d'une société russe où les détenteurs du pouvoir politique entendent faire savoir que ce sont toujours eux qui délivrent sinon tous les permis de s'enrichir, en tout cas ceux de conserver ou pas des biens vite et mal acquis.

Que les tenants de la société capitaliste, ici, s'en émeuvent, peut faire sourire, sachant que c'est grâce à un pillage gigantesque et pluriséculaire de toute la planète que le capitalisme s'est imposé, et qu'il continue à imposer son joug à toute l'humanité. Mais c'est sans doute la crainte, pas toujours infondée, que le pouvoir russe puisse spolier les intérêts de certains hommes d'affaires occidentaux opérant en Russie, qui arrache, ici, des larmes à certains sur le sort d'un Khodorkovski.

En Russie même, son sort, pour autant que la population en ait connaissance, la laisse indifférente, pour le mieux. Car c'est pour le pire qu'elle a eu à subir cette engeance de bureaucrates, affairistes et malfrats qui ont mis le pays à genou, pillé son économie et appauvri ses classes laborieuses. Dans cet acharnement du pouvoir contre Khodorkovski, celles-ci voient surtout un règlement de comptes entre « eux », des puissants appartenant à un autre monde que « nous ».

Quant aux privilégiés du système, les bureaucrates détenant une parcelle de pouvoir, ils ne peuvent qu'approuver la condamnation, non pas d'un prétendu « symbole de l'opposition » au pouvoir - même si Khodorkovski ne se prive pas de faire des déclarations en ce sens -, mais de quelqu'un qui, ayant profité de ce même pouvoir, s'est fait taper sur les doigts pour en avoir enfreint les règles. Une opinion que partagent sans doute en grande partie les petits et moyens bourgeois russes : après tout, on estime que 80 % des entreprises privées du pays, donc leurs propriétaires, dépendent plus ou moins directement de la sphère étatique. On ne mord pas la main qui vous nourrit, rappelle Poutine à tout ce petit monde de parasites avec la nouvelle condamnation de Khodorkovski.

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