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- Lutte ouvrière n°2378
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Dans le monde
Ukraine : Quand tout bouge...
Certes, sur la grand-place de Kiev, on trouvait plus d'étudiants, de petits bourgeois, d'entrepreneurs, de désœuvrés venus des zones rurales ou de déclassés, que de travailleurs des grandes entreprises de la capitale ou de l'Est. Mais le fait est que des dizaines de milliers de personnes (abstraction faite des exagérations des organisateurs comme des médias qui les soutenaient) se sont rassemblées, ont manifesté, souvent au risque de leur vie, pour dire « non » à un pouvoir corrompu, assassin et honni parce que protégeant ces magnats qui pillent l'économie, les oligarques.
Que la plupart de ces derniers, sentant le vent tourner, aient rapidement soutenu la contestation et qu'on les retrouve sur le devant de la scène – telle la politicienne-affairiste qu'on donne comme possible future présidente, Ioulia Timochenko – c'est indéniable. Est-ce que les manifestants d'hier, ceux du rang, ceux qui ne se reconnaissent pas dans les groupes d'extrême droite formant le service d'ordre du Maïdan, seront démoralisés de retrouver aux commandes la même engeance qu'ils voulaient combattre ? Ou trouveront-ils dans la défaite infligée au dictateur la force de combattre ceux – les politiciens de droite ou d'extrême droite, et les dirigeants occidentaux qui les couvent – qui voudraient que tout change, pour que rien de fondamental ne change pour la population ?
En tout cas, ce n'est que quand la population se mobilise que le pouvoir peut vaciller, condition pour qu'un véritable changement devienne possible, et pour que des couches sociales qui jusqu'alors n'imaginaient pas pouvoir changer leur sort se mobilisent à leur tour.
Dans les événements qui ont ébranlé le pouvoir ukrainien ces derniers mois, bien des milieux et couches sociales ont été touchés, qui se sont retrouvés dans la rue. Là où les choses se jouaient.
En revanche, pour autant que l'on puisse en juger de loin, un acteur, et de taille, est resté absent de la scène : la classe ouvrière. Et si l'arbre de la contestation ukrainienne a bourgeonné dans bien des directions, y compris les plus réactionnaires, avec l'apparition et le renforcement de l'extrême droite, s'il a vu éclore bien des énergies contestatrices, comme souvent en cas de mobilisation populaire le rameau prolétarien, lui, partait défavorisé. Nulle force, nulle organisation connue ne s'adressait aux travailleurs dans ces événements. Le Parti communiste d'Ukraine ? Il soutenait Ianoukovitch. Les orateurs du Maïdan ? Certains ont évoqué une grève générale contre le régime. Ne craignant pas d'être débordés sur ce terrain, ils y ont même appelé parfois : sans aucun écho dans les entreprises.
Si rien n'indique qu'un réveil politique de la classe ouvrière ukrainienne soit en cours, le propre d'événements comme ceux-ci est précisément de bouleverser la routine, de rendre possible ce qui la veille ne l'était pas.
Le mouvement actuel, si une certaine mobilisation se maintient, pourrait donner envie à la classe ouvrière de se faire entendre, de se mobiliser pour défendre ses intérêts de classe, à la fois contre les tenants de l'ancien gouvernement et contre ceux du nouveau pouvoir, appuyés par l'Occident, la droite et l'extrême droite.
On ne peut, surtout de loin, savoir si et comment cela pourrait se produire. Mais ce que l'on sait, c'est que le cours actuel des événements ne va pas dans le bon sens. La classe ouvrière mettra-t-elle à profit le chaos relatif qui règne dans le pays pour apprendre à s'orienter ? Ici, des travailleurs prendront-ils sur eux d'évincer un directeur corrompu, lié à l'ancien pouvoir ? Là, de faire le ménage dans un commissariat qui abrite des matraqueurs de manifestants ? Le parti d'extrême droite Svoboda, associé au nouveau pouvoir, veut interdire les grèves politiques. S'il s'y essaie, est-ce que cela suscitera des réactions parmi les travailleurs ? Des réactions qui pourraient même se produire pour défendre leurs droits actuels, que le nouveau pouvoir et ses donneurs d'ordres occidentaux voudront inévitablement remettre en cause, en arguant de la crise dans laquelle le pays est plongé. Car des droits, il en reste aux travailleurs, comme le disait avec humour un mineur de Donetsk interviewé sur France-Info le 25 février : « Pourquoi est-ce que je voudrais rejoindre l'Union européenne ? J'ai ma retraite à 45 ans, chez vous elle est à 60 ans. »
Bien sûr, faire des pronostics en ce domaine n'aurait pas de sens. La seule chose que l'on puisse dire c'est que tant qu'il y aura une certaine effervescence en Ukraine, il y aura un terrain, donc une chance pour que la classe ouvrière prenne conscience de ses forces et de ses intérêts. En tout cas, en cela seul réside la possibilité pour les travailleurs d'échapper au sort que leur réservent possédants et gouvernants.