Ukraine : Le risque de partition, et ce qu'il impliquerait26/02/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/02/une2378.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Le risque de partition, et ce qu'il impliquerait

Depuis l'installation du nouveau pouvoir à Kiev, les médias français semblent découvrir que l'Ukraine ne se réduit pas à sa capitale. Et d'expliquer maintenant que cette « révolution », qu'ils ont dépeinte comme mobilisant la population contre le régime précédent, non seulement ne fait pas l'unanimité parmi la population, mais que la situation qu'elle crée pourrait déboucher sur une partition du pays.

Dans l'Ouest ukrainophone, les soutiens ont été massifs à l'opposition de droite et d'extrême droite de « l'Euromaïdan ». Les autorités en place y ont été balayées ou se sont soumises aux ultranationalistes. Le parti d'extrême droite Svoboda, qui a recueilli près de 40 % des voix aux législatives dans ces provinces, s'y sent assez fort pour avoir fait interdire les organisations communistes. Dans la nuit du 20 février, des commandos d'extrême droite ont même réussi à investir des bâtiments de la police et autres organes de répression à Lvov et dans sept villes de l'ouest du pays, en s'emparant des armes qui s'y trouvaient.

En revanche dans l'Est, industriel et russophone, l'attitude de la majorité de la population reste circonspecte, sinon hostile à l'égard des forces qui dominent dans la capitale. Et les autorités en jouent. Kharkov, seconde ville du pays et capitale de l'Ukraine soviétique après 1917, compte un million et demi d'habitants : très industrialisée et située à proximité de la Russie, c'est là que vient de se former un Front ukrainien anti-Maïdan. Dans la région de Donetsk, avec sa sidérurgie et ses mines, les autorités menacent de faire sécession.

C'est également le cas au sud du pays, dans la presqu'île de Crimée, avec sa population majoritairement russe. Khrouchtchev l'avait rattachée administrativement à l'Ukraine en 1954, ce qui n'avait aucune incidence dans le cadre unifié de l'Union soviétique. Mais l'URSS a disparu, des frontières jusqu'alors administratives sont devenues étatiques. Et cela change bien des choses.

La coupure du pays en deux entités plus ou moins opposées par la langue, le degré de développement économique, l'environnement géographique et plus encore par la démagogie de politiciens sans scrupules dans chaque camp, est grosse de dangers. Les interventions répétées d'Obama et de ses collègues européens ces jours derniers, leurs mises en garde contre la tentation que Poutine aurait de jouer l'est de l'Ukraine contre le pouvoir nationaliste qui se met en place à Kiev, dit assez que les dirigeants occidentaux prennent au sérieux l'éventualité d'un éclatement de l'Ukraine. Depuis des années, ils l'ont poussée à s'éloigner de la Russie et ont soutenu les forces pesant en ce sens. Maintenant ils s'inquiètent de la possibilité d'un incendie qu'ils ont contribué à lancer et qui, échappant à leur contrôle, ravagerait cette partie de l'Europe.

Rien ne dit que l'on en arrivera là. Mais une chose est certaine : si l'Ukraine devait éclater, l'Occident aurait une responsabilité énorme dans une séparation qui, vu les circonstances, n'aurait rien d'amiable.

Présenté comme un divorce civilisé car sans heurts, l'éclatement de la Tchécoslovaquie, fin 1992, allait déjà dans un sens réactionnaire : les dirigeants slovaques voulaient avoir leur appareil d'État, les dirigeants tchèques voulaient se délester d'une Slovaquie moins développée qui gênait leur intégration au marché impérialiste.

Mais à la même époque se déroula un autre divorce étatique, lui de sinistre mémoire : celui que provoquèrent les ambitions rivales des bureaucrates de Yougoslavie, sur fond de rivalités entre grandes puissances européennes. Le résultat fut une guerre de plusieurs années, des millions de gens chassés de chez eux, des centaines de milliers de morts, un fossé de sang creusé entre les populations par leurs dirigeants et leur ignoble politique d'épuration ethnique.

Vingt ans et quelques plus tard, personne ne sait quand les plaies de l'éclatement yougoslave auront cicatrisé.

En Ukraine, une partition risque de se faire « à la yougoslave », mais en dix fois pire. Parce que le pays est plus grand, plus peuplé. Parce que, sans remonter aux pogroms du tsarisme, l'histoire rappelle que pareilles tragédies sont toujours possibles. Cette histoire, c'est celle des nationalistes ukrainiens durant la Seconde Guerre mondiale, alliés des nazis dans la chasse aux Juifs, aux Polonais, aux Russes et aux communistes ; celle des déportations meurtrières de peuples par Staline à la même époque ; celle des conflits qui ensanglantent le Caucase et l'Asie ex-soviétiques depuis un quart de siècle.

Bien sûr, rien n'est joué. Mais le jeu des grandes puissances et de la Russie en ex-URSS, celui des dirigeants ukrainiens qui ont attisé le nationalisme des uns contre celui des autres, tout cela a placé une bombe à retardement au coeur de l'Ukraine, de sa population et des peuples qu'elle a pour voisins.

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