Afrique : Le rapace Bolloré à l'assaut des ports05/06/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/06/une2340.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afrique : Le rapace Bolloré à l'assaut des ports

Le gouvernement ivoirien a accordé en mars dernier la gestion du second terminal à conteneurs d'Abidjan au groupe Bolloré. Ce dernier, associé au premier armateur mondial et à l'inévitable Bouygues, l'a emporté contre deux concurrents, l'un mené par MSC, deuxième armateur mondial, l'autre par CGA-CGM, qui est le troisième. Les groupes écartés crient au favoritisme, car Bolloré gère depuis 2004 le premier terminal d'Abidjan et nombre d'autres ports africains.

Le groupe Bolloré a commencé sa fortune dans le papier, particulièrement le papier à cigarettes, sur les bords de l'Odet, jolie rivière du Finistère, au début du 19e siècle. Le dernier héritier en titre, Vincent, s'est reconverti dans la finance depuis plus de trente ans, puis dans les affaires africaines, chemins de fer, plantations, import-export. Habile à nouer les amitiés utiles ou intéressées, il n'y a pas depuis ce temps de ministre de la Coopération qu'il ne reçoive ou n'embauche, de président africain qu'il ne fréquente, de gendre ou de cousin qu'il ne place dans une de ses multiples sociétés. C'est sur son yacht que Sarkozy a passé ses premières vacances de président, c'est dans son avion privé que Mandela est venu à Paris à l'invitation du précédent.

Depuis dix ans maintenant, sa grande affaire est la privatisation de la logistique et du transport sur tout le continent africain. Comme nombre de rapports officiels locaux et internationaux l'ont démontré, il ne sert à rien d'avoir une concession minière au milieu du continent si on ne peut pas acheminer le matériel et convoyer le minerai. Donc, soutenu par les organismes publics internationaux, particulièrement l'Agence française pour le développement, accueilli à bras et subventions ouverts par ses amis présidents africains, Bolloré propose un service complet : le port, capable d'accueillir des navires calant jusqu'à 18 mètres, les grues et portiques, les entrepôts de stockage et de tri, les chemins de fer ou les flottes de camions et, bien sûr, le personnel pour faire fonctionner tout cela, depuis le docker sur place jusqu'au logisticien rivé à son ordinateur dans la banlieue parisienne, suivant chaque conteneur grâce au satellite.

Tout cela ne serait encore rien sans la grande invention : le corridor logistique. L'Afrique a été morcelée par les colonisateurs, elle est ravagée par la misère, les guerres civiles, les bandes armées, avec ou sans uniforme, mais les richesses tirées de son sol et de son sous-sol par le travail de ses prolétaires doivent passer sans encombre et arriver jusqu'aux ports. C'est le but des « corridors » qui, si on traduit le langage feutré des fonctionnaires de l'ONU et des publicitaires de Bolloré, sont des routes privées, extraterritoriales, ne connaissant ni frontières, ni douaniers, ni check points. Un tel miracle n'est possible que grâce à l'intervention de troupes, officielles ou non, mais efficaces. Il y a ainsi un corridor du cacao, un corridor de l'uranium, un de l'or, etc. Bolloré en contrôle la plus grande partie, grâce entre autres à ses 28 ports et à ses 25 000 salariés dans 45 pays d'Afrique.

Plusieurs champs de pétrole ayant été mis en exploitation au large des côtes africaines, Bolloré s'est sur le même principe lancé dans la logistique de ravitaillement aux forages en mer. Le matériel de forage ou de ravitaillement transite dans les ports Bolloré, lui assurant une rente supplémentaire. Quelques jours à peine avant de recevoir sa nouvelle concession à Abidjan, le groupe Bolloré inaugurait un port de ravitaillement pétrolier de l'autre côté du continent, au Mozambique.

Les techniques logistiques sont modernes, les camions énormes, les navires gigantesques, l'informatique omniprésente. Mais tout cela sert toujours en définitive, comme dans les siècles passés, à exploiter le travail de tout un continent et à en piller les richesses, de plus en plus vite, de plus en plus rationnellement. Et c'est toujours en fait avec les mêmes méthodes, celles de la violence ouverte.

Non seulement Bolloré s'appuie sur les pires dictateurs, mais il les appuie en retour, et ces derniers le lui rendent bien. Quand les travailleurs du port d'Abidjan, en partie contrôlé par Bolloré, se sont mis en grève en 2009, l'armée est intervenue et a quadrillé le port pendant des semaines, protégeant les 3 000 travailleurs embauchés pour briser la grève et faisant la chasse aux grévistes.

Les médias ont beau prétendre que les entrepreneurs chinois sont à la conquête de l'Afrique, ce continent reste à ce jour essentiellement sous la coupe des capitalistes occidentaux, et de Bolloré en particulier.

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