Produit intérieur brut ou bonheur intérieur brut ? Capitalisme brut18/09/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/09/une2146.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Produit intérieur brut ou bonheur intérieur brut ? Capitalisme brut

Un promeneur parcourant les couloirs de la Sorbonne lundi 14 septembre aurait pu se croire transporté plus de quarante ans en arrière. Non seulement à cause d'une forte présence policière, mais parce que le grand amphithéâtre résonnait d'un discours appelant à préparer une « formidable révolution », à même d'épargner aux générations futures des « catastrophes financières, économiques, sociales, écologiques ». L'orateur n'était autre que Sarkozy en personne.

Celui-ci avait saisi l'occasion offerte par la remise du rapport de la Commission de mesure de la performance économique et du progrès social, instituée à sa demande en janvier 2008. Cette commission devait répondre à une question simple : comment se fait-il, alors que les indicateurs statistiques montrent une croissance économique, que la plupart des gens disent vivre de plus en plus mal ? Après des mois de travaux, une pléiade de prix Nobel ont rendu leur oracle : si la plupart des gens disent qu'ils vivent de plus en plus mal... c'est parce qu'ils vivent réellement de plus en mal. Et de conclure qu'il faut donc changer les instruments de la statistique, pour qu'ils puissent rendre compte de ce phénomène.

Le principal sujet de réflexion de la commission a été le calcul du produit intérieur brut, le PIB. Il faut croire que cet instrument, censé mesurer la richesse d'un pays en additionnant les prix de l'ensemble des biens et services qui y sont produits, ne mesure pas réellement le bonheur de la population... ou son malheur. La commission Stiglitz, du nom de son principal animateur, a pointé, après bien d'autres depuis la création de la notion de PIB dans les années 1930, l'absurdité qui consiste à considérer que n'importe quelle dépense est synonyme de croissance économique. Un embouteillage par exemple fait augmenter le PIB, parce qu'il augmente la consommation de carburant. Les frais occasionnés par une catastrophe, naturelle ou non, font eux aussi augmenter le PIB, même si cette catastrophe a ruiné une région ou pollué durablement un détroit. Le rapport démontre également, et là encore ce n'est pas nouveau, que les moyennes sont trompeuses : si un milliardaire entre dans un bistro, le niveau de vie moyen des consommateurs y est aussitôt multiplié par mille... sans que leur niveau de vie réel ait changé en quoi que ce soit. L'augmentation du niveau de vie moyen peut ainsi refléter une augmentation très rapide de celui des plus riches, qui contrebalance une diminution continue de celui des plus pauvres. C'est ce qui s'est passé ces dernières années dans les pays industrialisés.

Que des statisticiens et des économistes se préoccupent d'affiner leurs instruments de mesure, rien de plus banal. Que Sarkozy en profite pour se faire mousser et fasse passer du vieux pour du neuf, et les idées des autres pour les siennes, rien de plus habituel. Mais ce n'est pas cette discussion sur la valeur du thermomètre qui a la moindre chance de guérir le malade, comme ce n'est pas la modification incessante du calcul du mode de calcul du taux de chômage qui a amélioré le sort des chômeurs.

Car la question n'est pas tant de savoir comment on mesure les richesses produites, que de savoir qui décide de ce qui est produit, comment et pourquoi. Est-ce enrichir l'humanité que de fabriquer des armements ? Est-ce qu'on a produit quelque chose lorsqu'on s'est enrichi de la seule spéculation ? Est-ce utile d'entretenir partout à grands frais des appareils d'État dont la seule mission est de garantir les profits des possédants ? Est-il rationnel de condamner à l'inactivité des centaines de millions de travailleurs de par le monde alors que les besoins sont criants ? Est-il sensé de verser des milliers de milliards d'euros aux banquiers pour qu'ils continuent leurs opérations ruineuses pour tout le monde sauf pour eux ?

Les discussions des économistes cachent aussi mal les absurdités réelles du système capitaliste que les discours « révolutionnaires » de Sarkozy sa politique concrète au service exclusif des possédants.

Partager