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- Lutte ouvrière n°2266
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Il y a dix ans : 1er janvier 2002, l'institution de l'euro - une monnaie unique bancale, à l'image de l'Union européenne
Il y a dix ans, le 1er janvier 2002, dans douze États européens les billets et les pièces en euros commençaient à circuler et à remplacer les monnaies nationales, progressivement retirées de la circulation : l'escudo portugais, le florin des Pays-Bas, le franc belgo-luxembourgeois, le franc français, le mark allemand, le mark finlandais, la lire italienne, la livre irlandaise, la peseta espagnole, le schilling autrichien, la drachme grecque allaient disparaître. Depuis ce lancement de l'euro, cinq pays européens supplémentaires l'ont adopté : la Slovénie, Chypre, Malte, la Slovaquie et l'Estonie.
En fait, sur les marchés financiers la monnaie commune avait déjà remplacé les monnaies nationales depuis trois ans, le 1er janvier 1999. Les transactions entre banques, les émissions d'obligations d'État, les achats et ventes sur les marchés boursiers s'effectuaient donc déjà en euros. Une priorité significative du fait que ce sont les banquiers et les dirigeants des trusts européens qui étaient demandeurs.
L' objectif de cette monnaie unique était de supprimer ce qui constituait une entrave à la circulation des marchandises et des capitaux sur le marché européen -- la division de l'Europe monétaire -- et de concurrencer le dollar dans son rôle de monnaie de réserve des banques centrales et de monnaie des transactions internationales.
La décision de créer une monnaie européenne unique remontait à la signature du traité de Maastricht, en février 1992. C'était l'aboutissement d'un long processus, marqué, comme toutes les étapes de la « construction européenne » elle-même, par une alternance de périodes d'avancées et de stagnations, voire de reculs et de crises économiques et monétaires. Les négociations qui ont précédé la signature du traité de Maastricht, comme celles qui l'ont suivi, n'y échappèrent pas.
Le Marché commun, institué progressivement depuis la fin de La Deuxième Guerre mondiale, répondait à la nécessité, pour les principaux pays impérialistes du continent, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, handicapés par l'étroitesse de leurs marchés nationaux, de faire de l'Europe un marché intérieur unifié de plusieurs centaines de millions de consommateurs, permettant aux trusts européens de se hisser au niveau des trusts américains ou japonais dans la conquête des marchés mondiaux.
Malgré cette commune nécessité, les pays européens n'en sont pas moins restés, jusqu'à aujourd'hui, rivaux et concurrents.
Il fallut presque trente ans, entre la signature du traité de Rome en 1957, instituant le Marché commun, et la signature d'un nouveau traité, baptisé l'Acte unique, en février 1986, pour que la libre circulation des marchandises, des services, des hommes et des capitaux entre, progressivement, dans les faits. Et il a donc fallu presque cinquante ans, après le traité de Rome qui, déjà, évoquait la perspective d'une monnaie unique, pour qu'elle se réalise.
Et encore, on le voit aujourd'hui, cette construction, basée sur des compromis entre les intérêts divergents voire opposés des bourgeoisies européennes et de leurs États, est fragile. Avec la crise financière et sous la pression des marchés financiers -- c'est-à-dire des grandes banques qui les dominent -- l'existence même de l'euro est mise à l'épreuve. Car cette monnaie unique n'est pas basée sur un État unique, mais sur des accords entre États rivaux qui, comme tous les autres éléments de la construction européenne, peuvent toujours être remis en question à tout moment.
Face aux attaques des banquiers spéculateurs qui menacent de faillite les États européens les plus fragiles, les oppositions d'intérêts des gouvernements de la zone euro apparaissent de plus belle.
Depuis le traité de Rome, les politiciens qui se sont faits les propagandistes de l'unification européenne n'ont cessé de s'affirmer partisans d'une unification non seulement économique, mais aussi politique, la première devant entraîner la seconde. Mais cela est resté un voeu pieux. Chaque État national garde comme principale préoccupation de favoriser ses propres groupes capitalistes, ses propres banquiers. Et, loin de s'atténuer, ou de se distendre, les liens entre chaque État national et ses capitalistes, ses industriels et ses financiers, se sont au contraire renforcés.
Pour instituer une monnaie commune sans avoir pour autant une autorité politique commune, les États européens ont mis en place, pour en tenir lieu, une banque centrale -- la Banque centrale européenne (BCE) -- mais en lui interdisant de financer directement les États, de crainte qu'elle puisse avantager telle bourgeoisie des pays de l'Union européenne plutôt qu'une autre. Le résultat, c'est que les États de la zone euro se financent en s'adressant à des banques privées, qui, elles, peuvent se financer auprès de la Banque centrale. Dans la crise financière actuelle, tous les États de la zone euro se trouvent donc placés sous la coupe des banquiers, dans la situation de n'importe quel particulier dépendant d'un usurier qui peut faire monter les enchères autant qu'il le veut.
En définitive, parce qu'ils n'ont pas pu et voulu s'opposer aussi peu que ce soit aux intérêts de leurs capitalistes, les dirigeants européens ont mis l'ensemble de la construction européenne à la merci de leur chantage.
L'unification politique, économique, monétaire de l'Europe est à l'ordre du jour depuis plus d'un siècle. Ce que la crise actuelle démontre, alors qu'on s'interroge même sur la possibilité pour l'euro de survivre longtemps à son dixième anniversaire, c'est bien l'incapacité des bourgeoisies européennes à unifier ce continent, pour en faire un ensemble harmonieux pour les peuples. Seuls les travailleurs, en prenant le pouvoir à l'échelle de l'Europe et en expropriant banquiers et industriels, le pourront vraiment.