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Égypte : Élections législatives Le succès des islamistes
Une troisième étape des élections législatives commence en Égypte, alors que la deuxième étape, concernant un deuxième tiers de neuf gouvernorats, s'est terminée. Les partis politiques islamistes revendiquent un nouveau succès dans le cadre de cette étape, où 67 % des électeurs potentiels se seraient exprimés, selon la commission électorale.
Les résultats de la première étape, qui incluait les deux plus grandes villes, Le Caire et Alexandrie, avaient donné la victoire à deux partis politiques islamistes. Neuf gouvernorats égyptiens sur 27 étaient alors appelés aux urnes, fin novembre et début décembre, cette élection législative étant organisée en trois fois deux étapes, le résultat final étant attendu pour mi-janvier.
Au total, le Parti de la justice et de la liberté, nom électoral des Frères musulmans, a remporté 36 % des voix, et Al Nour, le plus connu des partis créés par les salafistes, en a recueilli 24 % lors de la première phase, et presque 29 % lors de la seconde. Le Wafd, parti de droite traditionnel, et le Bloc égyptien, une coalition de partis bourgeois se présentant comme laïques et incluant le Tagammou, l'ancienne opposition de gauche autorisée par Moubarak, arrivaient troisième et quatrième lors de la première phase, n'obtenant chacun que 13 % des voix environ. Ils semblent avoir obtenu encore moins lors de la deuxième phase.
L'état-major militaire au pouvoir, en la personne du Conseil suprême des forces armées, le CSFA dirigé par le maréchal Tantaoui, avait tout mis en oeuvre pour que les élections se tiennent à la date prévue, malgré l'opposition des manifestants de la place Tahrir, et il a ainsi marqué un point. Mais lors de la première comme de la seconde étape, les électeurs qui ont voté pour les Frères musulmans ont choisi un parti interdit depuis 1954, par Nasser, Sadate, puis Moubarak. On peut en dire autant du vote pour le parti fondamentaliste dit « salafiste », rebaptisé Al Nour - La Lumière.
Les résultats des deux partis politiques islamistes ne constituent pas une surprise : ils étaient interdits mais en fait tolérés par le régime de Moubarak. La confrérie, qui a depuis longtemps pignon sur rue, a présenté des candidats à de précédentes élections, sous l'étiquette « candidats indépendants », et avait obtenu 88 députés en 2005. Quant aux salafistes d'Al Nour, bien souvent issus eux-mêmes des Frères musulmans, même s'ils cherchent à se donner une image plus « radicale » par le langage et par le costume, ils partagent avec les premiers une influence de proximité sur la population, ne serait-ce que par leur contrôle de 4 000 des 108 000 mosquées et lieux de prière du pays. Et sans doute cette influence tient-elle, bien plus qu'à un choix idéologique, à leur activité « sociale » dans les quartiers pauvres, où comme leurs aînés ils distribuent des vivres, organisent des services de santé, pallient quelque peu le dénuement dans lequel l'État abandonne des millions de gens.
Une grande partie des habitants se sont donc ralliés aux prédicateurs connus dans leur quartier car, au moins en apparence, ils se soucient des souffrances de la population pauvre, s'opposent au racket constant des policiers, aux tracasseries administratives et à l'abandon de l'État. Les salafistes ont d'ailleurs aussi bénéficié du jeu de Moubarak, qui avait tenté de s'en servir contre les Frères musulmans, leur permettant de disposer de six chaînes de télévision. Cet accès aux médias et la manne déversée par l'Arabie saoudite ont aussi contribué à leur succès.
Onze mois après le départ de Moubarak, le nouveau régime qui va se mettre en place va donc devoir compter avec cette forte présence de partis islamistes. Et il est tout à fait possible qu'une collaboration s'installe entre eux et l'armée, bien déterminée à garder le contrôle du pouvoir. C'était déjà d'ailleurs en partie le cas sous Moubarak, qui avait compris que les partis islamistes sont un facteur non négligeable de stabilité sociale. Leur succès électoral va peut-être leur permettre de continuer à jouer ce rôle dans un nouveau régime à la façade quelque peu renouvelée. C'est en tout cas certainement sur cela que pourraient s'appuyer la bourgeoisie égyptienne et l'impérialisme.
Ceux qui manifestent depuis plusieurs semaines sur la place Tahrir, et qui avaient lutté pour le départ de Moubarak, seront certainement déçus de ce qui sort des urnes. Mais pour offrir une véritable alternative à ce régime militaire, peut-être repeint à des couleurs islamistes, il faudra que les masses populaires, les travailleurs, les paysans pauvres, les millions de ceux que la misère tenaille et qui ne vont pas, ou ne peuvent pas aller manifester sur la place Tahrir, puissent donner une expression politique à leurs revendications les plus profondes.