Il y a cinquante ans, vote de la loi Debré : Un cadeau pour l'enseignement privé, payé avec l'argent public30/12/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2010/01/une2161.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a cinquante ans, vote de la loi Debré : Un cadeau pour l'enseignement privé, payé avec l'argent public

Il y a cinquante ans, le 31 décembre 1959, la loi Debré instituait le financement par l'État de l'enseignement privé. Depuis cette date, les crédits versés à l'enseignement privé n'ont cessé de s'amplifier, au détriment des établissements scolaires publics dont la situation se dégrade.

Avant cette date, l'école privée recevait déjà des crédits, notamment au travers des bourses accordées aux élèves dès 1951. Mais la loi Debré généralisa le financement pour les établissements privés passant des contrats avec l'État. Deux types de contrats étaient prévus : les contrats simples, valables uniquement dans le primaire, où seuls les salaires des enseignants étaient pris en charge par l'État, et les contrats d'association, plus contraignants en matière de pédagogie, où l'État versait en plus un « forfait d'externat », somme pouvant servir à couvrir les achats de matériel ou les salaires des autres catégories de personnel. Les établissements hors contrat restaient, eux, entièrement financés par des fonds privés. Quand on sait que plus de 95 % des établissements privés étaient (et sont encore) aux mains de l'Église catholique, cela revenait donc à subventionner le clergé de manière détournée.

Une manne sans cesse renouvelée, y compris par des gouvernements de gauche serviles

Au fil des ans, les subsides versés par l'État au privé ont augmenté et se sont diversifiés. En 1975, par la loi Haby, l'État accordait des allocations aux associations de parents d'élèves du privé et prenait en charge les centres de formation pédagogique des établissements catholiques. La loi Guermeur de 1977 complétait la loi Debré, en renforçant l'aide de l'État aux établissements confessionnels, en leur garantissant le maintien de leur « caractère propre », c'est-à-dire religieux, et en prenant en charge la formation des enseignants du privé. Ceux-ci sont désormais formés par l'État, en plus d'être rémunérés par lui. En outre, la loi Guermeur obligeait les communes à financer la scolarité des enfants que les parents avaient choisi d'inscrire à l'école privée de leur ville.

Dans les 110 propositions qu'il avait faites avant d'accéder à la présidence de la République en 1981, Mitterrand s'était engagé à faire un « grand service public unifié et laïque de l'Éducation nationale », dont la mise en place serait « négociée sans spoliation ni monopole », en respectant « les contrats d'association d'établissements privés conclus par les municipalités ». Cette promesse, bien que limitée car elle n'entendait pas supprimer les établissements privés, ni même rogner un peu leurs privilèges, suscita, dès que le gouvernement entreprit de l'appliquer, une véritable levée de boucliers orchestrée par la droite catholique et réactionnaire. En 1984, celle-ci fit une démonstration de force en multipliant les manifestations, dont une, à Paris le 24 juin, à propos de laquelle on parla de plus d'un million de manifestants. Et l'on n'entendit plus jamais parler de ce « grand service ».

En 1992 furent signés les accords Lang-Cloupet, du nom du ministre socialiste de l'Éducation et du responsable de l'enseignement catholique. Ils entérinaient le versement de 1,8 milliard de francs à l'enseignement catholique (qui en demandait 5 milliards) au titre de retard de paiement de l'aide au fonctionnement. Ces accords augmentaient les aides et établissaient la parité entre le personnel du privé et celui du public, au nom « du droit et de la reconnaissance de la contribution de l'enseignement privé au système éducatif ». Le gouvernement socialiste eut alors beau jeu de déclarer que sa politique avait calmé la guerre scolaire ! Cela sonnait évidemment mieux que de dire qu'il avait lui-même éteint le feu en s'aplatissant devant les pressions exercées par les mouvements catholiques réactionnaires.

L'année suivante, une loi autorisait les collectivité locales à subventionner les investissements réalisés dans les établissements privés, ce qui allait au-delà de l'aide prévue par la loi Debré. Dans le même temps, le 6 février 1993, France-Soir titrait sur les 540 lycées et collèges qualifiés de "Pailleron", n'offrant aucune résistance à l'incendie, qui existaient encore dans les établissements publics...

Toujours plus pour le privé

Ces dernières années, le financement de l'enseignement privé avec l'argent public s'est accéléré. La loi Debré stipulait que les subventions ne seraient versées que pour rembourser des dépenses engagées. Cette contrainte a été levée en 2008, avec le plan Espoir banlieue de Fadela Amara. Ce plan prévoyait la construction de 50 classes dites « d'excellence » ainsi que l'ouverture d'internats dans les banlieues sensibles, et des crédits furent ouverts dans ce but car, à en croire le gouvernement, seul l'enseignement privé serait capable d'offrir un enseignement de qualité et un encadrement suffisant pour les jeunes désireux d'étudier !

Autre source de revenus pour le privé, pris sur les finances publiques : la loi Carle d'octobre 2009 qui, reprenant dans les termes une proposition faite par le socialiste Michel Charasse, oblige les communes à payer pour les enfants de la ville scolarisés dans une école privée d'une autre commune. Une municipalité pauvre peut ainsi être amenée à payer à la place de sa riche voisine, les écoles privées ne fleurissant pas dans les ZEP !

Et début décembre, dans la répartition des crédits issus du « grand emprunt » qu'il va lancer, Sarkozy a annoncé que 66 millions d'euros seront versés aux établissements privés de l'enseignement supérieur, aide attribuée aussi bien aux universités catholiques qu'à des institutions privées qui font pourtant payer des droits d'inscription excessifs.

En même temps que le gouvernement multiplie les aides au privé, l'enseignement public subit des restrictions : des dizaines de milliers de postes ont été supprimés ces dernières années, les programmes sont allégés, certains enseignements bénéficiant de moins d'heures de cours, les classes sont surchargées dans les banlieues populaires, de la maternelle au lycée, etc. Cela s'apparente à un détournement de fonds, qui frappe l'éducation au même titre que les autres services publics.

Marianne LAMIRAL

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Jack Lang et l'école privée : dédoublement de la personnalité ?

Dans une interview donnée le 29 décembre au journal Les Échos, Jack Lang déclare, à propos de la loi Debré de 1959, qu'il aurait « préféré qu'elle ne voie pas le jour. Il eût mieux valu, à ce moment-là, qu'on développât l'école publique plutôt que de cristalliser l'école privée. »

Jack Lang a été deux fois ministre de l'Éducation nationale sous des gouvernements socialistes, de 1992 à 1993 et de 2000 à 2002. S'il avait vraiment voulu mettre ses idées en application, il était le mieux placé pour le faire, en proposant de se diriger vers l'abrogation de la loi Debré, pour permettre de développer l'école publique. Or jamais on ne l'a entendu défendre une telle politique quand il était en poste. Au contraire, en 1992, il a laissé son nom aux accords signés avec le père Max Cloupet accordant plus d'avantages encore au privé, au nom de l'égalité de traitement entre les deux types d'établissements.

Abandonner ses positions et donner satisfaction à ses adversaires, c'est ce dont il se vante aujourd'hui, en disant avoir « calmé le jeu ».

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