« Réunionnais de la Creuse » : L'État ne reconnaît pas ses méfaits30/12/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2010/01/une2161.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

« Réunionnais de la Creuse » : L'État ne reconnaît pas ses méfaits

Les « Réunionnais de la Creuse » sont ces 1 641 enfants littéralement déportés vers la métropole entre 1963 et 1982 pour, disait-on à l'époque, « repeupler les campagnes françaises ». Une trentaine d'entre eux ont porté leur affaire en justice et demandé réparation.

Mardi 15 décembre, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a débouté les plaignants, au motif qu'il y avait prescription quadriennale. C'est ce même motif qui avait déjà été retenu par la cour administrative d'appel de Bordeaux en mars 2007 et par le Conseil d'État en juillet 2008.

Des centaines d'enfants, nés dans des familles pauvres de la Réunion, allaient donc servir de main-d'oeuvre, le plus souvent taillable et corvéable à merci, notamment dans des fermes de soixante-cinq départements français, dont le Gers, l'Aveyron, le Tarn, la Lozère, le Cantal et bien sûr la Creuse. Ce plan avait été pensé et élaboré par les plus hautes autorités de l'État, puisque l'artisan en fut Michel Debré, élu en 1963 député de la Réunion, où il régna jusqu'en 1974

Dans les années 1960-1970, bien des familles réunionnaises étaient dans une grande misère. Nombre de parents retiraient leurs enfants très tôt de l'école pour qu'ils les aident dans les tâches domestiques. La direction de la DDASS connaissait bien ces familles et n'eut aucun mal à établir des listes d'enfants, dont certains furent littéralement enlevés à leurs parents pour être placés dans des foyers isolés dans les hauts de l'île, avant d'être envoyés dans des villages de France.

Les enfants y séjournaient dans des conditions déplorables, durant parfois plusieurs mois. Et lorsque se présentait de temps à autre un responsable qui les en faisait partir, ils étaient contents de quitter le foyer. Mais ils étaient loin de se douter que ce qu'ils croyaient être une libération allait devenir une prison à 9 000 kilomètres de là.

Les autorités faisaient pression sur les parents. Elles échangeaient un enfant contre la promesse de l'effacement d'une dette ou l'espoir d'un logement moins insalubre. Les dirigeants de la DDASS disaient que les enfants allaient partir quelque temps en France et revenir avec un bon bagage scolaire, un bon métier, et que de toute façon ils reviendraient chaque année pour les vacances. Mais une fois leurs enfants partis, les parents n'ont plus jamais eu de leurs nouvelles.

À leur arrivée dans la Creuse, les enfants étaient conduits au foyer de Guéret, qui servait de centre de tri. Au bout de quelques jours, ils étaient emmenés par des familles dites d'accueil, qui touchaient des aides pour recevoir ces petits « orphelins ». Aux travaux pénibles s'ajoutaient souvent le racisme et les vexations de toutes sortes, qui allaient parfois jusqu'au viol.

Années de galère, d'errance, de dérive. Largués, sans repère, sans soutiens, ballottés de foyers de l'enfance en familles d'accueil, les enfants vécurent un véritable cauchemar. Certains changeront jusqu'à quatre fois de famille. Beaucoup connurent des séjours dans les hôpitaux psychiatriques et certains se suicidèrent.

En métropole, l'Union générale des travailleurs réunionnais de France publia en 1972 un communiqué pour dénoncer le cas d'un de ces jeunes exilés. Des journaux comme Le Canard enchaîné ou Hebdo TC (Témoignage Chrétien) s'en firent aussi l'écho.

Depuis 1993, les langues ont commencé à se délier et la chape de plomb s'est soulevée petit à petit. On découvrit, trente ans après, que les procédures d'abandon et d'adoption avaient été truffées d'irrégularités et on admit (un peu tardivement !) que des parents n'ont peut-être pas compris ce qu'ils avaient signé, ne sachant ni lire ni écrire.

Dans les archives réunionnaises, on retrouve peu de traces de toute cette scandaleuse opération. Des pièces ont été « égarées » ou sont parties en fumée lors d'un l'incendie en 1966. En 2002, suite à une plainte déposée par un des anciens Réunionnais de la Creuse, Élisabeth Guigou, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité dans le gouvernement socialiste de Jospin, commanda à l'Inspection générale des affaires sociales un rapport qui dédouana totalement l'État français.

Des Réunionnais de la Creuse se battent toujours pour faire reconnaître leurs droits et afficher leur dignité. Ils ont saisi la Cour européenne de justice, de laquelle ils espèrent un verdict plus favorable.

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