Vers la fin du blocus américain ? Cuba n'a pas plié devant les États-Unis23/12/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/12/2421.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Vers la fin du blocus américain ? Cuba n'a pas plié devant les États-Unis

Mercredi 17 décembre, le président américain Barack Obama et son homologue cubain Raul Castro ont annoncé simultanément un rapprochement entre leurs pays. Le président américain a avoué que « l'isolement de Cuba n'a pas fonctionné ». En clair, les États-Unis, qui ont cherché depuis cinquante-cinq ans à faire plier le peuple cubain, admettent que la manière forte a échoué.

Cette annonce serait le fruit d'une négociation secrète lancée il y a dix-huit mois. Pour le moment, il s'agit de rétablir les relations diplomatiques. Des prisonniers, qualifiés d'espions des deux côtés, ont été échangés et les ambassades devraient rouvrir leurs portes. Diverses mesures doivent faciliter les échanges. En revanche, l'embargo ne pourra cesser complètement qu'à la suite d'un vote du Congrès américain. Il y a des opposants à ce rapprochement chez les républicains comme chez les démocrates, mais il y a aussi de nombreuses entreprises américaines qui souhaitent tirer profit du marché cubain.

L'embargo pour tenter de briser la révolution cubaine

C'est John Kennedy qui renforça en 1962 l'embargo contre Cuba, en réponse à la décision du gouvernement castriste de nationaliser les entreprises américaines. Cette mesure répondait elle-même au refus des États-Unis d'établir des relations diplomatiques et économiques avec le régime issu de la révolution cubaine. Les États-Unis entendaient alors briser tous ceux qui pouvaient remettre en cause leur mainmise sur le continent américain.

S'il n'a jamais cessé, l'embargo américain a connu des variations. Durci dans les années 1990, il a été assoupli à partir de 2000. Cela a permis à des multinationales américaines d'établir des échanges avec Cuba. C'est le cas des groupes Cargill et Archer Daniels Midland, exportateurs de blé et de soja, de Tyson Foods et Pilgrim's Pride, fournisseurs de poulet congelé. D'autres veulent en être : Coca-Cola, Pepsi-Cola, les hôtels Marriott, des compagnies de télécommunications, les groupes John Deere et Caterpillar qui vendent des équipements agricoles, mais aussi les multinationales du tabac ou de l'alcool. Ils entendent ainsi contrecarrer les groupes capitalistes chinois, bien présents dans l'île.

La pression des capitalistes américains sur le Congrès pourrait bien l'amener à décider la fin de l'embargo.

Si celui-ci a duré plus d'un demi-siècle, les États-Unis avaient fait bien d'autres tentatives de renverser le régime castriste, dès le lendemain de la révolution cubaine de 1959, embauchant des tueurs de la Mafia pour assassiner Fidel Castro ou appuyant un débarquement d'anticastristes en 1961. C'est l'intransigeance des États-Unis qui avait conduit les dirigeants castristes à nouer des liens avec l'URSS et à s'afficher « communistes ». Cela déboucha sur l'escalade de la crise des fusées en 1962, qui sembla mettre le monde au seuil d'une troisième guerre mondiale.

Après la fin de l'URSS en 1991, les États-Unis durcirent à nouveau l'embargo. L'aide soviétique ayant disparu, l'économie cubaine étant asphyxiée et la population contrainte à subir maintes privations, les États-Unis espérèrent en finir avec Cuba, mais les Cubains tinrent bon. Dans les années 2000, Cuba reçut le soutien du Venezuela de Chavez, qui leur fournit du pétrole et leur permit de rétablir des relations avec toute l'Amérique du Sud. Les choix de Washington sont les seuls responsables de ses mauvaises relations avec Cuba. Cependant, dès 1972, le président républicain Nixon avait repris des relations avec la Chine de Mao. Par la suite ce fut avec le Vietnam. Mais, à 150 km des côtes américaines, Cuba restait une épine dans la sphère d'influence des États-Unis.

Le retour de l'« Amérique aux Américains » ?

Outre la reprise du commerce, des voyages et des échanges, tourner cette page devrait faciliter les relations des États-Unis avec le reste de l'Amérique latine. Obama a déclaré en espagnol : « Nous sommes tous Américains », sa façon d'actualiser la vieille orientation de l'impérialisme US, formulée dès 1823 par le président démocrate Monroe : « L'Amérique aux Américains ». Pendant des décennies, conformément à ce principe, les États-Unis sont intervenus, parfois directement et militairement, pour maintenir la mainmise de leurs trusts sur l'Amérique du Sud. Depuis 1901 en effet, la Constitution de Cuba autorisait les États-Unis à y intervenir pour défendre leurs intérêts.

En avril prochain doit se tenir un « sommet des Amériques ». Certains États avaient menacé de ne pas s'y rendre si Cuba n'y était pas invité. Cet obstacle est donc levé. D'autre part les États-Unis, le Mexique et Cuba doivent renégocier leurs frontières maritimes, avec pour enjeu l'exploitation de gisements de pétrole. En affichant la détente vis-à-vis de Cuba, Obama espère un bénéfice immédiat dans ces négociations. Sur le plan intérieur, il pourrait aussi rehausser son crédit auprès d'une partie des électeurs américains d'origine latino-américaine, qui ont marqué leur défiance lors des dernières élections législatives.

« Nous veillerons au respect de notre indépendance nationale et de notre autodétermination », a déclaré Raul Castro. Le fait est que les États-Unis ont échoué dans leurs tentatives d'abattre le régime castriste et doivent le reconnaître. Plus de cinquante ans après, Obama doit en prendre acte. Malheureusement, ceux qui trouveront leur compte dans le rapprochement qui s'amorce risquent d'être d'abord les compagnies américaines. La population, elle, risque d'échanger une situation de pénurie contre le sort des peuples sous le joug de l'impérialisme. Avec le risque sérieux que ce que la révolution castriste a apporté comme progrès à la population cubaine en qualité de vie, notamment des systèmes de santé et éducatif performants, ne soit submergé et disparaisse sous la poussée de l'économie de marché « made in USA ».

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