- Accueil
- Lutte ouvrière n°2193
- Russie : Ce que révèlent les incendies
Dans le monde
Russie : Ce que révèlent les incendies
Depuis un mois, dix-sept régions de Russie sont la proie des incendies de tourbières et de forêts. Des centaines de milliers d'hectares et des milliers de maisons sont déjà partis en fumée, 77 localités ont été la proie des flammes, on ne compte plus les sans-abri. Moscou étant noyée dans un épais brouillard toxique, par une température qui frise 40°, les centres commerciaux et autres lieux climatisés sont pris d'assaut. Les hôpitaux et les morgues de la capitale débordent, mais les autorités prétendent qu'il n'y a eu que quelques dizaines de morts...
Des dirigeants aux abonnés absents
Pendant deux semaines, les dirigeants régionaux et centraux ont gardé le silence sur ce drame, qu'il s'agisse des plus hauts responsables de l'État, du président Medvedev aux ministres, dont celui des Situations d'urgence, ou du maire de Moscou, restés sur leur lieu de vacances.
Revenu sur le terrain pour soigner son image d'homme proche du peuple, le Premier ministre Poutine a constaté que ledit peuple n'était pas vraiment dupe. « Vous n'avez rien fait pour que cela ne brûle pas », lui ont reproché des villageois près de Nijni-Novgorod.
En fait, non seulement le pouvoir n'a rien tenté pour parer au risque de pareils incendies mais, par son irresponsabilité et son impuissance intéressée devant les mafias qui mettent le pays et ses forêts en coupe réglée, il a aggravé les effets catastrophiques d'un phénomène naturel.
Car les plaines russes, au sous-sol riche en tourbe, peuvent s'enflammer spontanément lorsque l'été est sec et chaud. Le pays totalisant un quart des forêts de la planète, le risque d'incendies est élevé. C'est pourquoi, après la révolution d'Octobre 1917, le pouvoir soviétique avait incité les habitants des districts forestiers à créer des organes de gestion collective de cette richesse hautement inflammable, puis il avait mis en place des kolkhozes forestiers, d'autres exploitant les tourbières, et aussi un corps nombreux de gardes forestiers. Cela n'évitait bien sûr pas les incendies, mais cela en limitait les conséquences en domestiquant la nature.
Les conséquences dramatiques de la fin de l'URSS
Avec la disparition de l'Union soviétique, fin 1991, la plupart de ces services publics utiles à la population ont disparu, car ils ne rapportaient rien aux bureaucrates et nouveaux riches lancés à la curée sur la propriété publique. Toute forme de gestion planifiée de l'économie et de l'environnement a disparu, dans un État déliquescent dont les tenants affichaient ouvertement leur avidité, la priorité étant d'accaparer tout ce qui pouvait rapporter.
C'est pour cette raison qu'en quelques années on a supprimé 70 000 gardes forestiers, au nom, disait Poutine, de « l'optimisation des dépenses ». On a aussi fermé des casernes de pompiers. Et, comme si on avait voulu hâter cette catastrophe annoncée, on a démantelé 70 % des stations météorologiques, avec comme conséquence que, dans bien des régions, on en est réduit à tenter de deviner s'il va pleuvoir sur les tourbières ou si le vent qui attise l'incendie de forêt va l'étendre vers la localité voisine.
Qui plus est, avec la disparition de la gestion planifiée de l'économie et la fermeture de nombre d'entreprises étatisées, la population des régions éloignées des grands centres s'est vite trouvée sans travail ni ressources. Certains ont alors fui les régions de forêts et celles-ci n'ont même plus été un peu entretenues. D'autres, pour survivre, ont loué leurs bras aux margoulins ayant accaparé un bout de forêt.
Le pillage des forêts
Car la Russie n'exporte pas seulement du pétrole, du gaz et des métaux, mais occupe aussi la première place dans l'exportation du bois brut (35 % du total mondial, contre 3,5 % pour le Canada, pays comparable par l'étendue de ses forêts). C'est par un flux incessant de trains, sur le Transsibérien, et de barges chargées à ras bord, sur le fleuve Amour, que le bois russe s'exporte, généralement en toute illégalité. Bien sûr, pour les commanditaires - des firmes occidentales, japonaises ou chinoises - et les responsables de l'État russe qui rendent possible ce pillage, la priorité n'est pas d'entretenir la forêt, mais d'en tirer le maximum au plus vite.
« Après eux, le déluge... » ?
La récente décision de Poutine de confier la gestion des forêts aux autorités régionales n'a fait qu'entériner la situation. Tout ce que cela pourrait rapporter en Russie atterrit sur les comptes à l'étranger des bureaucrates et des affairistes, pas dans les caisses de l'État.
Le gouverneur de la région de Moscou, Gromov, a beau jeu de dire maintenant que l'État fédéral lui refuse des milliards de roubles pour noyer les tourbières des environs de la capitale, ce qui y rendrait l'air respirable : les autorités se renvoient la balle, tandis que la population étouffe.
Pillards, irresponsables, les hommes du pouvoir font en outre assaut de cynisme. À Moscou, la mairie se borne à distribuer des conseils de santé aussi efficaces que : « Ne vous maquillez pas » ou « Ne sortez pas dans la rue sans une bonne raison ». Quant au ministre des Situations d'urgence, avouant que 37 000 localités sont aujourd'hui « hors du rayon d'action des forces anti-incendie », il ne met pas en cause le manque de moyens pour combattre le feu. Non, il affirme : « On aura fait un grand pas en avant pour que cela change quand on aura adopté une loi rendant obligatoire de souscrire une assurance habitation incendie. » Il suffisait d'y penser...
Pour finir, on voit maintenant l'Église orthodoxe tenter de convaincre la population de prier pour qu'il pleuve. Elle ne pouvait manquer cette occasion de rappeler à quel dénuement matériel et spirituel est renvoyée la Russie !