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- Lutte ouvrière n°2193
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Dans les entreprises
Nos lecteurs écrivent : vignes de Bourgogne : vin réputé, conditions de travail indignes
Le vin de Bourgogne est réputé. Les conditions de travail des ouvriers viticoles de la région de Beaune sont moins connues. Voilà le témoignage de l'un d'entre eux.
« J'ai commencé à travailler dans la vigne il y a une quinzaine d'années, après des pertes d'emplois dans l'industrie. Plus tard, j'ai passé ce que l'on appelle les "qualifications" », qui sont censées permettre d'être payé un peu plus pour les tâches les plus techniques. De toute façon, les payes ne sont jamais très loin du smic.
Le respect de certaines règles de culture conditionne le droit aux appellations d'origine contrôlée (AOC), très importantes pour la commercialisation du vin. Les contrôles ne sont pas très sévères et pas mal de chefs d'exploitation font faire un peu n'importe quoi pour aller plus vite.
C'est un travail dur et bien des patrons du secteur s'illustrent par leur avidité, quitte à être carrément malhonnêtes avec les ouvriers.
En ce qui concerne les outils, la plupart des patrons demandent à ce qu'on ait les nôtres : c'est déjà ça que l'on peut enlever de la paye, parce que évidemment, il n'y a pas de prime prévue. Ainsi, un viticulteur qui habite un château, et qui a des vignes sur plusieurs dizaines d'hectares en pleine Bourgogne, a un jour refusé de me prêter un coupe-souche, en disant que je n'avais qu'à avoir le mien.
Il y a trois grandes catégories de travailleurs de la vigne : les ouvriers qui ont un contrat, les tâcherons (payés à la tâche) et les saisonniers. On ne décide pas si on est embauché à la tâche ou comme ouvrier, ça dépend du patron. Depuis plusieurs années, toutes les catégories sont de plus en plus embauchées aux conditions des saisonniers, les plus basses, ainsi c'est du travail à la tâche, sauf. que c'est toute l'année !
Comme si ça ne suffisait pas, les tâcherons doivent souvent courir après le patron pour se faire payer les heures effectivement faites. Ils reçoivent en fin de chaque journée un bon qui atteste des heures travaillées mais, lorsque le décompte arrive en fin de mois, il peut manquer des heures. En ce moment, un patron me doit 50 heures ainsi « déduites » de ma paye, alors que j'ai tous les bons ! Ils savent que, dans neuf cas sur dix, on va laisser tomber parce que c'est trop compliqué et qu'en plus le nom de l'ouvrier qui se défend est vite connu à travers tout le vignoble. Ensuite, pour se faire embaucher, il faut parfois changer de région.
Une autre ficelle des patrons consiste à confier au tâcheron une surface à travailler (pour la taille ou le tirage des sarments) avec un salaire prédéfini. Plus d'une fois, j'ai eu l'impression que la surface était sous-évaluée : je suis donc allé vérifier au cadastre. Et parfois, je découvrais que les 80 ares qu'on m'avait confiés étaient en réalité 120, 130 ou plus encore !
D'autres fois, ce sont les heures de week-end qu'on a refusé de me payer, alors qu'on m'avait expressément demandé de venir pour finir un travail qui ne pouvait attendre. On m'a alors dit : « Mais il n'y a personne le week-end, comment veux-tu qu'on sache si tu étais vraiment là ? » Evidemment, l'exploitant savait que ce n'étaient pas les petites souris qui avaient taillé la vigne.
Ça, ce sont les arnaques de bas étage envers une population ouvrière émiettée, dispersée, sans réelle organisation pour se défendre elle-même. Ensuite, il y a encore les aspects carrément honteux, comme ces patrons qui font payer aux saisonniers d'Europe orientale la location du carré boueux sur lequel ils garent le camion déglingué dans lequel ils dorment et préparent leurs repas.
Ce qu'on peut dire, c'est que les travailleurs de la vigne ont, comme beaucoup d'ouvriers, des raisons largement suffisantes pour laisser un jour éclater leur colère contre l'exploitation et l'humiliation quotidienne ! »