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Dans les entreprises
Gauche, droite, gauche, droite... La longue marche vers la privatisation de La Poste
Le Parlement est sur le point d'entériner le changement de statut de La Poste. À droite, on explique que « l'ouverture du capital est indispensable, du fait même de la fin des monopoles postaux. La Poste ne peut pas être en Europe la seule entreprise publique du marché intérieur. » C'est ce qu'a déclaré le sénateur UMP Pierre Hérisson, qui préside l'Observatoire national de la présence postale. Et, comme bien d'autres avant lui, il assure que « les missions de service public sont garanties par l'État ».
De son côté, Christian Martin, en charge, pour le Parti Socialiste, des services publics et de la fonction publique, dénonce le fait qu'une « privatisation de La Poste entraînerait à l'évidence la suppression de milliers d'emplois, un recul du service rendu à nos concitoyens, notamment pour les envois, les services peu rentables et une augmentation des tarifs ». Tout cela n'est que trop vrai. Mais le changement de statut mis au vote ces jours-ci est le fruit d'une longue remise en cause du monopole de La Poste, amorcée il y a plus de vingt ans. Remise en cause que les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont mise en oeuvre avec un bel ensemble, achevant parfois ce que le parti opposé avait commencé.
Ainsi, sous Giscard comme sous Mitterrand, de 1974 à 1987, une série de commissions et d'expertises préconisèrent les mêmes orientations : la séparation des services postaux de ceux du téléphone, la remise en question du statut des personnels et le recours au privé. Le ministre des PTT, le socialiste Mexandeau, commandita un rapport, en 1984, qui aboutit aux mêmes conclusions.
En 1986, sous la présidence de Mitterrand, Chirac devint Premier ministre. Gérard Longuet succédant à Mexandeau, il mit en route un projet de séparation entre la poste et les télécommunications... finalement réalisée entre 1988 et 1990 par son successeur Paul Quilès du Parti Socialiste.
Quilès annonça ses objectifs : sortir les deux branches, poste et téléphone, du système public pour les rendre « plus compétitives », afin qu'elles assurent un « service à caractère industriel et commercial ». Il entendait ainsi se situer dans la « perspective européenne » de dérégulation et de mise en concurrence des « opérateurs publics ». Il reçut l'appui de la CFDT et un proche de Rocard, Prévot, ancien du PSU et membre de la CFDT, allait rédiger le rapport à partir duquel le ministre allait bâtir sa loi qui allait faire de la poste un « établissement public industriel et commercial ». Elle fut votée par le Parlement « grâce à l'abstention de la droite et du centre », comme titra Le Monde. Seuls les députés du PCF et une poignée de députés de droite ou du centre devaient voter contre.
Le 20 décembre 1990, le Parti Socialiste dirigeant toujours le gouvernement, une loi identique concernant les télécommunications devait livrer tous les services à la concurrence et à la privatisation, pratiquement sans contrôle. Le 1er janvier 1991, La Poste et France Télécom étaient devenus deux « exploitants autonomes de droit public ».
Le 15 décembre 1997, le Parlement européen votait sa première directive sur la poste. Elle ouvrait notamment le marché postal de l'Union européenne à la concurrence pour le courrier de plus de 350 grammes. Le gouvernement de Gauche plurielle (PS, PCF, Verts, MDC, PRG) ne trouva aucun inconvénient à transposer cette directive dans les lois nationales. C'était pourtant le début de l'ouverture du marché du courrier aux opérateurs privés.
Le 10 juin 2002, au moment où la droite revenait aux affaires et où Raffarin allait succéder à Jospin, le Parlement européen adoptait sa seconde directive sur la poste, qui agrandissait l'ouverture entamée cinq ans plus tôt. Désormais, à partir du 1er janvier 2003, le courrier de plus de 100 grammes était concerné par l'ouverture à la concurrence. Le poids devait même tomber à 50 grammes à partir de 2006. La directive annonçait même 2009 comme date de l'ouverture totale.
En mai 2005, c'était au tour du gouvernement Raffarin, quelques jours avant que celui-ci ne cède sa place de Premier ministre à Villepin, de transposer cette dernière directive européenne, tout en réaffirmant bien sûr le principe du « service postal universel ». Les paroles n'engagent à rien, mais si elles peuvent faire plaisir ou endormir...
Le 20 février 2008, l'Union européenne a adopté une troisième directive qui parachève les précédentes, ouvrant à la concurrence les envois d'un poids inférieur à 50 grammes. Cela signifie l'ouverture à la concurrence de l'essentiel du service public postal utilisé par la majorité de la population. Les opérateurs privés vont donc chercher à s'emparer des marchés les plus convoités, car les plus concentrés, ce qui n'empêchera pas les secteurs moins peuplés d'être délaissés.
Cela aura pour conséquence d'amplifier encore le remplacement d'emplois stables par des emplois plus précaires. Les ministres successifs n'ont pas été avares de belles paroles sur le maintien du statut ou de l'emploi. Mais la réalité est différente. Une comparaison entre 2002 et 2008 est éloquente : sur le total des postiers, près de 20 000 emplois ont disparu ainsi que 56 000 statuts de fonctionnaire. En revanche, il y a 36 000 employés de plus en situation précaire.
Dans le même temps, des milliers de bureaux de poste ont déjà disparu. Moins de 20 % dans les régions où la population est très dense, comme l'Ile-de-France, le Nord ou la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Mais les fermetures ont atteint plus de 50 % dans les régions les moins peuplées. Ce qui signifie pour la population des difficultés plus grandes pour accéder à ce qui reste du « service postal », de moins en moins universel, quoi qu'en disent les ministres et ceux qui espèrent leur succéder.