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Philippines : A prise d'otages de Jolo, guérillas et répression rançon d'une situation coloniale
L'affaire des otages de Jolo vient de rebondir, au moment où on la croyait proche de son épilogue, à la suite de l'intervention de l'armée philippine contre les guérilleros preneurs d'otages du groupe Abu Sayyaf. Une affaire de prise d'otages qui rappelle que, depuis la Deuxième Guerre mondiale, les Philippines ont été parmi les pays de l'Asean (Association des pays du Sud-Est asiatique) où a existé, et continue d'exister une longue tradition de mouvements de guérillas.
Des années de guérillas
A l'origine de ces guérillas, il y a bien entendu toute l'histoire du pays qui a subi trois siècles de colonisation espagnole (le nom de cet archipel avait été choisi pour honorer le roi d'Espagne Philippe II), relayés par la colonisation des Etats-Unis de 1898 à 1946. De la domination espagnole il reste une prédominance de la religion catholique, et de la présence américaine l'usage de l'anglais comme langue des échanges.
Bien des traits de la société philippine rappellent ceux de la société sud-américaine, notamment la concentration du pouvoir économique et politique entre les mains d'une oligarchie de grands propriétaires terriens qui s'appuie sur des clans régionaux avec leur réseau clientéliste.
La chute du dictateur Marcos en 1986 n'a mis un terme ni à la domination des grands propriétaires, qui ont su faire avorter toutes les tentatives de réformes agraires aussi timides soient-elles, ni à la corruption. La soif de terre et la corruption du régime continuent d'alimenter les différents mouvements d'opposition armés.
D'autres facteurs jouent également : géographiquement, le pays est fractionné en plus de sept mille îles, dont 900 " seulement " seraient habitées. On y parle onze langues et près de 90 dialectes. Ce fractionnement est cependant moins grand que ces chiffres ne semblent l'indiquer puisque 90 % du territoire habité se concentre sur une dizaine d'îles. Mais les moyens de communication insuffisants ajoutent au morcellement du pays, tandis que les voies maritimes sont privilégiées : aucun point du pays n'est à plus de 120 km de la mer.
Il n'y a pas que les groupes de guérillas à être armés. La plupart des notables entretiennent ne serait-ce qu'un groupe d'hommes de main destinés à éliminer d'éventuels opposants, par exemple en période électorale. En 1993, les autorités philippines estimaient qu'il existait plus de 500 armées privées. Le gouvernement d'alors, celui du président Ramos, avait décidé de les démanteler. Il en resterait encore une... bonne centaine, sinon plus.
A cette époque, le gouvernement a également essayé de trouver une solution vis-à-vis de la plus ancienne guérilla du pays, celle du Parti Communiste, en signant des accords avec les mouvements les plus représentatifs tandis qu'il assimilait les plus marginaux à des délinquants pour les écraser militairement.
Mais la " manière forte ", telle que l'a employée l'armée philippine, notamment entre 1986 et 1994, a entraîné le déplacement de près de deux millions de civils. Le bombardement, les tortures, les exécutions de ces populations ont été le plus sûr moyen de fournir de nouvelles recrues aux différentes guérillas. Et, bien sûr, rien n'a été fait pour régler la question agraire (question sensible parmi la guérilla communiste) ni pour remédier à la situation de seconde zone dans laquelle s'estime placée la population du Sud philippin (la base des rébellions musulmanes). Enfin, la corruption de l'armée a entraîné des frondes de jeunes officiers en mal d'avancement.
Guérillas communistes et guérillas musulmanes
Historiquement, la guérilla la plus ancienne est celle du Parti Communiste philippin. Celui-ci, né en 1930, a commencé la lutte armée contre les Japonais en 1942, sous le nom de " Huk " (abréviation de Hukbaklahap, qui signifie Armée populaire anti-japonaise). Celle-ci regroupait des troupes essentiellement paysannes et comptait 10 000 hommes en armes à la fin de la guerre. L'occupant japonais n'était pas sa seule cible, elle s'attaquait aussi aux propriétaires terriens et à leurs hommes de main. Après une courte période de deux ans, où elle tenta de trouver une voie parlementaire, elle reprit le maquis en 1946. Décapitée à deux reprises, elle déposa les armes en 1957.
Mais au début des années soixante, de jeunes étudiants relancèrent le Parti Communiste. En 1968, son principal animateur, Sison, se rapprochait du maoïsme et la guérilla reprit en 1969. La proclamation en 1972 de la loi martiale par Marcos lui donna une véritable impulsion. Elle prit de l'ampleur dans les années quatre-vingt en commençant à ce moment à s'orienter plutôt vers les villes. La chute de Marcos et l'arrivée au pouvoir de la dirigeante de l'opposition d'alors, Cory Aquino, entraînèrent la libération de Sison, emprisonné, un cessez-le-feu et le début de pourparlers. Puis il y eut de nouvelles tensions et la marginalisation de ceux qui poursuivirent la lutte armée.
Les guérillas du Sud du pays, en revanche, se réclament de l'islam. La première est apparue en 1966 avec la création de la MNLO (Organisation nationale de libération des Maures). Elle représentait une réaction des mouvements d'opposition musulmane aux migrations venues du nord de l'archipel. Dirigée par des notables locaux, elle avait au début une expression pacifique. L'intervention du gouvernement central envenima les choses.
En 1969, des étudiants créaient un second mouvement, le Front national de libération des Maures (MNLF), en rupture avec le premier jugé insuffisamment radical. En 1972, eux aussi furent galvanisés par la loi martiale de Marcos. En 1976, il y eut une rencontre entre son épouse et Kadhafi qui appuyait ce second mouvement, pour trouver une issue au conflit armé. Un accord, signé à Tripoli, promettait l'autonomie à treize provinces du Sud. Mais la guérilla continua pour entrer en déclin au début des années quatre-vingt, ce qui entraîna plusieurs scissions et une dérive d'une partie de ses troupes vers le banditisme. Parmi ceux-ci le groupe Abu Sayyaf, apparu au début des années quatre-vingt-dix.
Le contenu de l'accord de Tripoli de 1976 constitue toujours la base d'une partie des revendications des guérillas musulmanes, pour la bonne raison qu'il est resté lettre morte. Aux revendications d'autonomie de ses provinces du Sud, le régime philippin a toujours opposé la même réponse : la dictature et la violence de la répression.
Le recours à la prise d'otages de la part des guérillas musulmanes n'est jamais qu'un terrorisme du pauvre contre le terrorisme en grand de l'armée philippine. Mais les dirigeants de l'impérialisme qui le condamnent aujourd'hui, de Chirac à Clinton, qui sont aussi les soutiens du régime et de l'armée philippine, en partagent la responsabilité avec le régime de Manille.