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Leur société
La hausse du pétrole : Spéculation et profits pétroliers
Les prix du pétrole continuent à être agités de soubresauts en oscillant autour de niveaux records, sans que l'annonce par les pays producteurs d'une augmentation de leur production semble y faire quoi que ce soit. Preuve que la " pénurie organisée " de pétrole dont la presse et les gouvernements ont accusé les pays producteurs et l'OPEP en particulier et à qui ils ont attribué la hausse des cours de ces derniers mois, n'en était pas la seule cause, ni même la principale.
Ainsi, le 18 septembre, sur le marché londonien, le Brent brut (prix de référence pour le marché européen) atteignait son plus haut niveau depuis la Guerre du Golfe, juste en dessous des 35 dollars le baril. Selon les experts, il s'agissait d'un mouvement de spéculation à la hausse suite au dernier coup de colère de Saddam Hussein contre le Koweit. Le lendemain, le vent changeait de direction et le cours du Brent revenait à son niveau antérieur de 34 dollars le baril. Cette fois on se bornait à constater sans proposer d'explication.
La spéculation sur le pétrole continue donc et elle joue sans conteste un rôle important dans la hausse des prix mondiaux. Selon le patron de l'Union française des industries pétrolières, cité par l'hebdomadaire L'Expansion du 14 septembre : " Aujourd'hui, le marché " papier " du pétrole s'établit à 6 000 milliards de dollars par an alors que le marché " physique " est de 800 milliards de dollars : c'est-à-dire qu'avant d'arriver à destination une cargaison de pétrole s'échange huit fois. " Or ce marché " papier " est justement celui où s'établissent les cours pétroliers de référence comme celui du Brent, au travers d'un système d'opérations à terme similaire à celui qui alimente la bulle spéculative des marchés boursiers.
Ceux qui spéculent sur ces marchés sont les vendeurs de pétrole (c'est-à-dire les compagnies pétrolières), les acheteurs (les raffineurs et autres gros clients de la chimie des hydrocarbures) et divers intermédiaires commerciaux et financiers. Mais ceux qui y font la pluie et le beau temps, ce sont les grandes compagnies pétrolières, car elles contrôlent directement ou indirectement une grande partie des autres intervenants par le biais de montages financiers compliqués destinés à les protéger des lois anti-monopoles existant dans la plupart des grands pays industrialisés.
Si donc les prix pétroliers de référence comme le Brent ont monté en flèche, c'est que les trusts pétroliers n'ont rien fait pour s'y opposer, ou plus probablement qu'ils l'ont voulu. Et il suffit de regarder leurs bilans au cours des dix-huit derniers mois pour voir pourquoi.
Malgré la chute des cours enregistrée en 1998, qui avait vu le cours du Brent descendre en dessous de la barre des 10 dollars au baril, les trusts du pétrole n'en ont pas moins réalisé les milliards de bénéfices qui leur sont habituels au cours de cette année-là, grâce, entre autres, à des profits plus importants dans le raffinage. Et quand leurs profits ont baissé de façon importante cette année-là ce fut à cause de plans de restructuration - ce fut le cas de Shell, par exemple, qui a supprimé un cinquième de ses emplois en Europe en 1998. En fait cette année-là, ce sont les petites et moyennes compagnies, qui représentent entre elles moins de 15 % du marché pétrolier, qui ont essuyé le gros des contrecoups de la baisse.
Mais l'année suivante, 1999, où le cours du Brent est monté de 10 à 23 dollars le baril, les bénéfices des trusts ont explosé : les profits des cinquante plus grosses compagnies pétrolières américaines ont été multipliés par cinq. Et cette explosion a continué au premier semestre de l'année 2000 : +116 % pour Exxon-Mobil par rapport au premier semestre 1999, +106 % pour Shell, +197 % pour BP-Amoco, +165 % pour TotalFina-Elf, etc.
Aujourd'hui, le président du groupe Shell peut bien expliquer, dans une interview parue dans le journal Le Monde daté du 19 septembre, qu'" un prix du pétrole trop élevé est une mauvaise nouvelle pour tous " et qu'il souhaiterait " un niveau un peu en dessous de 20 dollars ". Mais quand il ajoute que " ce n'est pas parce qu'on espère ce prix que les cours vont s'aligner ", en accusant pêle-mêle l'OPEP et les spéculateurs, il se moque du monde. Comme si c'était à contre-coeur que Shell avait engrangé un résultat record de 47,7 milliards de francs au premier semestre de cette année !
Ou alors il faudrait qu'il le prouve, par exemple en réduisant le prix de l'essence dans les stations Shell de façon à ramener les profits du groupe à leur niveau (considérable déjà) de l'an dernier.