La Poste : La concurrence détériore encore plus le service public16/06/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/06/une-1666.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

La Poste : La concurrence détériore encore plus le service public

A partir de 2003, dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, le courrier de plus de 50 grammes sera ouvert à la concurrence entre les postes publiques et d'autres " opérateurs ", alors que depuis 1997 la limite est fixée à 350 grammes. La part du marché postal soumise à la concurrence passerait ainsi de 3 % à 20 %. Telle est la proposition faite par la Commission européenne aux ministres des quinze pays, dans le but de " libéraliser " les services postaux, davantage encore que la directive européenne de 1997.

Comme si la concurrence offrait une garantie de qualité et de baisse des tarifs d'un service public ! Bien au contraire, elle donne un élan supplémentaire à la course à la rentabilité, aux suppressions d'emplois, à la réduction du service, pourtant utile à la population, mais qui ne rapporte pas assez. Ce mouvement dit de libéralisation, qu'il soit poursuivi dans le transport aérien ou ferroviaire, l'énergie, les télécommunications ou la poste, loin de constituer une source de progrès, tire la société en arrière. Ni les usagers, ni les quelque 1,7 million de postiers que compte l'Union européenne n'ont intérêt à ce qu'une telle évolution se renforce. On en voit déjà trop les ravages.

En Suède, l'ouverture totale à la concurrence, citée en exemple par le commissaire européen, a en fait entraîné une hausse des tarifs de 72 %, la disparition de 25 % des emplois du secteur et de 25 % des bureaux de poste.

En France, dès janvier 1991, le ministre socialiste Quilès a mis fin aux PTT, en séparant La Poste du secteur des Télécoms, convoité déjà à l'époque par des capitaux privés. L'État ayant financé et fait réaliser une très coûteuse modernisation des centraux téléphoniques, l'affaire devenait intéressante, et cela s'est confirmé par la suite, avec l'aide des gouvernements de droite et de gauche.

De son côté, La Poste a poursuivi une politique de rentabilisation. Certaines activités sont gérées par des filiales comme Chronopost. La gestion des cantines et l'entretien des véhicules ont été cédés à des entreprises privées. Dans les activités qui relèvent directement de La Poste, après des années de suppressions d'emplois, les 20 000 embauches annoncées par le gouvernement au titre des 35 heures ne constituent pas des effectifs supplémentaires. Elles ne font que remplacer les départs en retraite, en grande partie par des emplois précaires. Sur 300 000 postiers, 60 000 ont ce type d'emploi, pour certains à temps partiel, et donc avec des salaires de misère.

Bien des tournées de facteurs sont plus lourdes ou plus longues. Dans les centres de tri, les conditions de travail s'aggravent malgré l'introduction de machines perfectionnées. Aux guichets, le travail est de plus en plus difficile car là aussi La Poste restreint les emplois, à l'exception de ceux de conseiller financier. Par les nombreuses grèves qui ont éclaté, les postiers ont exprimé ce qu'ils pensaient des conséquences d'une politique qui comprime les effectifs et augmente la précarité alors que l'activité de La Poste s'accroît (le chiffre d'affaires a augmenté de 7,6 % en un an).

Le gouvernement a tout lieu d'être satisfait de la politique de restriction menée par la direction de La Poste. L'année dernière, La Poste a affiché 1,86 milliard de francs de bénéfices, sans compter l'argent consacré aux rachats de sociétés de transport de colis en France et dans d'autres pays, concurrence oblige.

Pour les usagers, les conséquences sont toutes différentes suivant qu'il s'agit des gros clients - les entreprises - qui se voient proposer des services à domicile, ou de la majorité de la population. Il faut faire la queue aux guichets, poster de plus en plus tôt dans l'après-midi son courrier pour que le départ ne soit pas remis au lendemain. Et le courrier n'arrive pas tous les jours car bien souvent les facteurs en vacances ou malades ne sont pas remplacés.

La mise en concurrence entre différents "opérateurs" postaux ne ferait qu'aggraver cette situation, tant pour les conditions de travail que du point de vue du service public, en particulier pour les habitants les plus défavorisés, ceux qui habitent des quartiers ou des petites communes difficiles à desservir et qui, par conséquent, ne sont pas "rentables".

Un secrétaire d'état fait la moue sans s'opposer

Le secrétaire d'État à l'Industrie, Christian Pierret, a pris quelques distances avec la commission européenne à qui il reproche, avec son projet concernant la poste, de " brûler les étapes ". " La teinture néolibérale du projet est manifeste ", affirme-t-il. Et il ajoute : " Les 306 000 postiers savent bien le dégât sur l'emploi que causerait le "tout-libéral" ".

Les inquiétudes suscitées à juste titre par l'ouverture à la concurrence d'un service public valaient bien quelques bribes de phrases en direction de l'électorat de gauche.

Il n'est pas question pour autant que Pierret s'oppose au projet. Il affirme même que " La Poste a fait la preuve de sa capacité à s'adapter dans de bonnes conditions à un contexte nouveau ". Autrement dit, avec les restrictions d'effectifs et l'aggravation des conditions de travail, La Poste est mûre pour la concurrence. Les postiers qui ont fait grève ces derniers mois apprécieront ! Quant au gouvernement, la preuve n'est plus à faire qu'il a effectivement la "capacité à s'adapter" aux desiderata des capitalistes, que ce soit pour leur offrir un service public ou pour tout autre mauvais coup.

D'ailleurs, si la Commission européenne a mis sur le tapis le projet d'une ouverture à la concurrence des activités postales, c'est bien entendu parce qu'elle en crevait d'envie, mais c'est aussi suite à une décision du Conseil des ministres européens, prise à l'unanimité.

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