Russie : Poutine et sa " verticale du pouvoir "16/06/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/06/une-1666.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Poutine et sa " verticale du pouvoir "

Depuis des semaines, le président russe Poutine multiplie les initiatives pour renforcer ce qu'il nomme la " verticale du pouvoir ". En clair, pour tenter de rétablir un peu d'autorité centrale dans les quatre-vingt-neuf régions et républiques de Russie alors que, depuis la fin de l'URSS, les chefs de ces " sujets de la Fédération de Russie " ont pris toujours plus d'indépendance.

Des " super-préfets "

Poutine a donc fait adopter par la chambre basse du Parlement (la Douma) une loi privant de leur immunité parlementaire les chefs élus des régions, et nommé sept super-préfets pour les chapeauter.

Bien sûr, cela menace des gouverneurs et présidents locaux notoirement corrompus et n'obéissant qu'à leurs propres intérêts et à ceux des cliques les épaulant. Du moins en théorie, car la question reste celle des moyens dont disposent Poutine et ses super-préfets.

Poutine a récemment voulu se débarrasser de Iakovlev, le gouverneur de Saint-Pétersbourg, et a déclenché une campagne de presse l'accusant de couvrir des trafics mafieux, des meurtres politiques, d'avoir transformé la seconde ville du pays en capitale du crime. A l'occasion de la partielle pour la réélection de ce gouverneur, il a soutenu ses rivaux... avant de baisser les bras, Iakovlev tenait l'appareil administratif local et Poutine allait à l'échec.

Va-t-il se heurter aux mêmes obstacles dans sa volonté de reprise en main des régions ? Eltsine avait connu des déboires similaires. En 1992, tentant d'établir son pouvoir sur les ruines de l'URSS, au moins dans son pré carré russe, Eltsine avait créé l'institution des gouverneurs pour reprendre le contrôle de la bureaucratie des régions. A l'origine, ces gouverneurs étaient nommés par lui mais, bien vite, d'instruments du centre ils se sont mués en porte-parole des intérêts des bureaucrates et nantis qu'ils étaient censés contrôler. Et ils ont pris la tête de la fronde régionale contre le centre, arrachant à Eltsine, en 1995, le droit d'être élus, donc de ne devoir leur légitimité qu'à la cohorte des bureaucrates et affairistes les appuyant pour autant qu'ils peuvent piller l'économie de la région dans l'ombre de celui qui la dirige.

Autant dire que Poutine aura du fil à retordre, s'il ne baisse pas pavillon avant, comme à Saint-Pétersbourg. Et comme il vient de le faire pour que la Douma entérine sa loi, en autorisant les gouverneurs à destituer les maires de leur ressort, un droit dont ils disposent déjà souvent dans les faits...

L'économie et le code du travail

Dans le domaine économique, la reprise en main annoncée par Poutine tourne au pétard mouillé. Il avait annoncé qu'il mettrait au pas les " oligarques " qui dirigent des pans de l'économie au compte des clans de la bureaucratie qui ont mis la main dessus lors des privatisations. " En tant que classe, ils doivent être éliminés ", avait-il déclaré avant son élection.

Mais, là encore, il semble n'avoir le choix que de s'appuyer, comme Eltsine avant lui, sur certains clans pour tenter de contrer les autres. Même ce qui a été présenté comme une offensive de Poutine contre l'ex-favori d'Eltsine, le politicien-financier Berezovski, ne fait pas exception. C'est un homme du clan Eltsine-Berezovski que Poutine a dû nommer Premier ministre et un autre membre de ce clan qu'il a reconduit au poste décisif de chef de l'administration présidentielle, cet organisme qu'Eltsine avait tout exprès créé afin de contrôler le gouvernement et de se doter d'un appareil ne dépendant que de lui.

Si l'on excepte la Tchétchénie, où l'armée russe peine à réduire la guérilla malgré le déploiement de 80 000 hommes de troupe, il reste un terrain où Poutine a pu faire preuve de force : celui du code du travail, le KZOT en russe.

Cela fait des années que les autorités veulent faire adopter un KZOT qui officialise le recul du droit social par rapport à ce qu'il était du temps de l'URSS. En vain, jusqu'à récemment. Mais désormais, la durée hebdomadaire de travail pourra être portée à 56 heures, avec un seul jour de repos garanti, les congés maternité seront réduits de moitié, les syndicats n'auront plus à être consultés en cas de licenciement, on remplacera les contrats collectifs par des contrats individuels, généralement à durée déterminée...

C'est un recul considérable, même s'il entérine nombre de dispositions déjà mises en oeuvre par les directions d'entreprise. Le régime a aussi profité de la période récente pour multiplier les attaques (arrestations, interventions de la police) contre des militants ouvriers et syndicalistes non inféodés au pouvoir ou des grévistes. Cela a été présenté par la presse comme la preuve que, sous Poutine, l'Etat savait remettre de l'ordre et serait à même d'attirer des investisseurs étrangers en leur offrant une main-d'oeuvre aux conditions les plus favorables.

Dans de grandes entreprises, notamment en province, cela a suscité grèves, manifestations et mouvements de protestation. Quant à attirer les " investisseurs ", cela ressemble à une plaisanterie.

La fuite des capitaux est continue. Elle n'a pas cessé avec l'élection de Poutine. Les riches et les privilégiés du régime continuent à " exporter " tout ce qu'ils peuvent voler, à ne pas payer d'impôts. Sur 60 millions d'actifs, seuls 3,8 millions ont rempli une déclaration d'impôt malgré une campagne nationale les menaçant des foudres de la police fiscale et Poutine vient de décider la baisse du taux de l'impôt pour les plus riches en présentant cela comme destiné à les inciter à faire preuve de civisme...

Alors, le prétendu " homme fort " qui aurait remplacé Eltsine au Kremlin reste, pour l'instant, toujours aussi désargenté et impuissant.

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