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Dans le monde
Syrie : La mort d'Hafez el Assad
La mort du dirigeant syrien Hafez El Assad n'a pas manqué de provoquer de la part des grands de ce monde les habituels commentaires de circonstance. Il y transparaissait sinon la tristesse, du moins une préoccupation première : que cette mort ne remette pas en cause la stabilité politique en Syrie ni dans l'ensemble du Proche et du Moyen- Orient.
De Blair déclarant qu'Assad était " une figure de stabilité au Proche-Orient ", à Jospin souhaitant qu'aucune instabilité ne prévale en Syrie, les dirigeants impérialistes se sont montrés conscients de la grande qualité qu'avaient pour eux le dirigeant syrien et sa dictature : celle d'avoir assuré pendant trente ans la stabilité du pays. Peu leur importe que cela ait été au prix du sang.
Du mandat français à l'indépendance
Car le pays dans lequel le général d'aviation Hafez El Assad prit le pouvoir par un coup d'Etat le 13 novembre 1970 s'était révélé depuis son indépendance en 1944 l'un des plus instables de la région ; une instabilité qui devait beaucoup, en particulier, aux conditions dans lesquelles s'était déroulé le mandat français sur la Syrie, entre 1920 et 1946, et l'accession à l'indépendance.
L'histoire de la Syrie sous mandat français ne fut qu'une succession de révoltes. Il fallut une grève générale de cinquante jours, en 1936, pour qu'un traité franco-syrien soit signé, reconnaissant à terme l'indépendance du pays. Mais côté français, le traité ne fut jamais ratifié par la Chambre de Front Populaire issue des élections de 1936. Le colonialisme français continua à disposer du pays. Non content de s'être partagé le Proche-Orient de façon arbitraire avec son compère britannique, il se permit même en 1939 d'amputer la Syrie d'une fraction de territoire, le " sandjak " d'Alexandrette - aujourd'hui le Hatay -, pour en faire cadeau à la Turquie avec laquelle la France cherchait un rapprochement.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale encore, le colonialisme français continua de s'accrocher à la Syrie, déclenchant contre lui en mai 1945 une véritable insurrection. Les troupes françaises n'hésitèrent pas, en réponse, à bombarder Damas, avant de devoir quitter finalement la Syrie en avril 1946.
Les années d'occupation française et anglaise au Proche-Orient laissaient derrière elles une situation explosive. Le nationalisme arabe, longtemps en butte à la répression coloniale, ne recouvrait pas seulement le désir des couches dirigeantes locales d'avoir leur propre pouvoir. Il recouvrait aussi les sentiments de frustration et de révolte des masses arabes, pour qui la fin du colonialisme était aussi l'espoir d'un avenir plus digne, débarrassé de la misère et de l'oppression. Elles ne tardèrent pas à être déçues. La guerre israélo-arabe de 1948 en particulier, elle-même conséquence de la politique de division menée en Palestine par la Grande-Bretagne, fit éclater au grand jour la faiblesse des régimes et des bourgeoisies arabes, de l'Egypte à la Syrie et à l'Irak. Des coups d'Etat militaires allaient amener au pouvoir des groupes d'officiers, porte-parole d'une petite bourgeoisie au nationalisme de plus en plus radical.
La Syrie en particulier devait connaître une série impressionnante de coups d'Etat. Les dirigeants syriens, en butte aux pressions de l'impérialisme américain, cherchaient appui du côté de l'URSS, tandis que la radicalisation des masses se traduisait, entre autres, par la montée de la gauche : Parti Communiste Syrien et nationalistes arabes radicaux du Baas. En 1958, les dirigeants syriens inquiets d'une poussée à gauche qu'ils se sentaient incapables de contenir trouvèrent une issue dans la conclusion de l'unité avec l'Egypte au sein de la " République Arabe Unie ", se plaçant sous la protection du dirigeant égyptien Nasser et cherchant à bénéficier du prestige de celui-ci auprès des masses arabes. L'expérience dura trois ans avant qu'un nouveau coup d'Etat, en 1961, ne mette fin à cette union.
Le BAAS, du nationalisme arabe au pouvoir absolu d'Assad
La Syrie retomba alors dans les coups d'Etat successifs, dans lesquels se distinguaient de plus en plus les hommes du " Baas ". Celui-ci, le " parti de la résurrection arabe et socialiste ", se voulait un parti nationaliste à l'échelle du monde arabe, voué à libérer celui-ci de l'emprise de l'impérialisme, à réaliser son unité politique. Le " socialisme " flou dont il se réclamait visait surtout, de la part des petits-bourgeois nationalistes qui le dirigeaient, à assurer aux masses qu'ils se souciaient de leur sort.
Le Baas devait surtout se révéler un tremplin permettant à une nouvelle couche de dirigeants nationalistes d'accéder au pouvoir en Syrie et en Irak. Ses prétentions à se battre avant tout pour l'unité de la nation arabe n'y résistèrent pas. A peine les baasistes parvenus au pouvoir à Damas et à Bagdad, le parti éclata en deux fractions qui allaient se combattre férocement en épousant les rivalités des deux Etats.
Au sein même du Baas syrien, Assad ne fut d'abord qu'un officier putschiste parmi d'autres. Devenu ministre de la Défense en 1966, il s'employa à éliminer ses rivaux dans la course au pouvoir. Le coup d'Etat du 13 novembre 1970 fut pour lui l'occasion d'éliminer la fraction civile du Baas, plus radicale, et de devenir le maître absolu du régime.
La stabilisation du régime syrien se fit alors sous la poigne d'une dictature féroce ne laissant aux opposants que deux choix : ou la prison, ou se rallier et devenir les otages impuissants d'Assad au sein d'un " Front national progressiste " regroupant, avec le Baas lui-même débarrassé des opposants d'Assad, le PC et son dirigeant Khaled Bagdache, les nassériens et différents petits partis. Mais lorsqu'une fraction du PC se sépara de Khaled Bagdache en s'opposant au soutien donné au dictateur, ses dirigeants furent jetés en prison pour n'en plus sortir.
Les interventions de l'armée syrienne
Partisan de l'unité arabe, Assad l'était sans doute, mais comme tous les dirigeants de son espèce il ne la concevait que sous sa dictature et en fonction des intérêts de l'Etat qu'il dirigeait. Les nombreux discours sur la solidarité arabe, notamment la solidarité avec les luttes des Palestiniens, allaient vite se révéler une simple couverture. Assad, contre l'avis de l'aile radicale du Baas, refusa d'appuyer les Palestiniens massacrés, au cours du " septembre noir " de 1970, par l'armée du roi Hussein dans la Jordanie voisine. Enfin, en 1976, au moment où la guerre civile déclenchée au Liban par la droite chrétienne contre la gauche et les Palestiniens commença à tourner à l'avantage de ces derniers, l'armée du dictateur syrien intervint pour stopper l'avance des milices de la gauche.
Ainsi, c'est l'armée syrienne qui sauva les milices de la droite chrétienne libanaise d'une défaite dans l'affrontement que celle-ci avait déclenché et ne pouvait gagner. L'installation de l'armée syrienne au Liban sauvegarda les positions menacées de la bourgeoisie libanaise et de l'impérialisme même si, plus tard, l'armée syrienne se dressa tour à tour contre les différentes fractions voulant échapper à son emprise, au sein d'abord des partis chrétiens. Mais ce fut aussi le cas du " frère " palestinien Arafat lorsque les milices palestiniennes encerclées à Tripoli en 1982 subirent pendant des semaines le feu de l'armée syrienne.
La vaine recherche de contreparties
De ce point de vue, les dirigeants impérialistes savent fort bien ce qu'ils doivent à Assad. Pendant trente ans, son régime a été avant tout un facteur de stabilisation, agissant contre toutes les forces qui pouvaient un tant soit peu remettre en cause les équilibres politiques et sociaux. En Syrie même, le soulèvement populaire de la ville de Hama, en février 1982, dirigé par les Frères musulmans, fut noyé dans le sang, des quartiers entiers de la ville rasés par l'artillerie avec un bilan estimé entre 5 000 et 20 000 morts.
Il faut ajouter à ce tableau que les " intérêts de la nation arabe " dont se réclamait Assad ont toujours marqué le pas devant les nécessités de la rivalité avec les autres régimes arabes, notamment l'Irak. Lorsque Saddam Hussein tenta en 1990 de s'emparer des puits de pétrole du Koweït, Assad rejoignit sans hésiter la coalition rassemblée par les Etats-Unis contre Bagdad, débouchant sur la guerre du Golfe de février 1991.
Bien sûr, comme dans tout le monde arabe, les dirigeants syriens justifiaient leur militarisme par les nécessités de la résistance à l'impérialisme et notamment de la guerre contre l'ennemi numéro un, Israël. Mais de ce point de vue l'armée syrienne sous le commandement d'Assad a bien plus servi à assurer la stabilité politique, au fond dans l'intérêt de l'ordre impérialiste, qu'à combattre Israël contre lequel d'ailleurs elle n'a essuyé que des défaites et a préféré agir, au Liban, par Hezbollah interposé.
Il reste bien sûr que Assad a cherché à obtenir, dans toutes ces actions de stabilisation sociale, des contreparties de la part de l'impérialisme et d'Israël. Et s'il faisait encore figure d'opposant à ceux-ci, c'est d'abord parce que jusqu'à présent ni l'impérialisme américain ni Israël n'ont voulu le récompenser un tant soit peu de ses loyaux services. Ce sont surtout les résistances d'Israël pour rendre à la Syrie le plateau du Golan occupé en 1967 qui expliquent qu'Assad n'ait pas conclu la paix, ce que les dirigeants impérialistes lui reprochent tant.
Aujourd'hui, ceux-ci savent en tout cas ce qu'Assad leur a apporté, et leurs craintes pour la stabilité en Syrie sont sans doute le seul accent sincère de leurs condoléances. Quant au peuple syrien, quant aux masses populaires de la région, pour eux la mort d'Assad n'est que celle d'un dictateur dont l'action s'est basée sur un cynisme absolu et sur une rare férocité.