Italie : Prato, la jungle du secteur textile04/12/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/12/une_2940-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Italie : Prato, la jungle du secteur textile

L’article suivant est extrait du journal de nos camarades de L’Internazionale (UCI - Italie)

Dimanche 13 octobre deux mille personnes ont manifesté à Prato, au milieu des usines textiles, pour protester contre l’agression d’un piquet de grève à l’atelier de confection et de maroquinerie Lin Weidong.

Faire grève le dimanche n’a rien d’étrange dans le secteur textile de Prato, en Toscane, le deuxième plus grand en Europe. Les travailleurs des 2 000 entreprises textiles de la zone doivent se battre pour ne pas travailler 12 à 14 heures par jour, pour avoir deux jours de repos par semaine ou même un salaire régulier.

Une grande partie des patrons de ces entreprises sont d’origine chinoise, ce qui explique que les premières victimes de cette surexploitation soient justement des travailleurs chinois, littéralement déportés de leur pays et souvent contraints de vivre dans des hébergements de fortune au sein des ateliers. Dans ce secteur, l’irrégularité est la norme et la probabilité d’une inspection est minime.

En 2013, cinq hommes et deux femmes qui vivaient et travaillaient dans une usine de la banlieue de Prato étaient morts dans l’incendie qui avait ravagé l’atelier à cause d’une installation électrique défectueuse. Quelques années plus tard, le tribunal de la cour d’appel annulait la condamnation à quatre ans de prison pour homicide aggravé des deux frères originaires de Prato, propriétaires de l’atelier loué malgré l’absence de sécurité. Les propriétaires de l’entreprise, deux femmes chinoises condamnées à huit ans de réclusion, échappaient elles aussi à la prison en se réfugiant en Chine.

À Prato, on produit une grande partie du prêt-à- porter à bas coût « made in Italy » et aux côtés des ouvriers chinois travaillent des immigrés indiens, pakistanais ou nord-africains. Les entreprises emploient rarement plus de vingt personnes et ne semblent pas intéresser beaucoup les grandes confédérations syndicales. Ce sont les syndicats de base qui organisent ces travailleurs et soutiennent leurs luttes. Comme dans les secteurs de la logistique et de l’agriculture, le premier objectif de ces luttes est de faire appliquer les contrats de travail nationaux du secteur, qui sont précisément signés par les confédérations syndicales.

C’était le cas de la grève commencée le dimanche 6 octobre à l’usine Lin Weindong de Seano, organisée par le Sudd (Syndicat unitaire démocratie et dignité), affilié au syndicat SI Cobas. Les travailleurs revendiquaient la journée de huit heures et deux jours de repos hebdomadaire, résultat déjà obtenu dans quatre autres entreprises du secteur. Mardi 8 octobre, l’assemblée des grévistes qui se tenait devant l’usine a été agressée par un commando de cinq gros bras armés de barres de fer. Deux travailleurs, un syndicaliste et un étudiant, ont été blessés. Certains pensent que les agresseurs étaient directement payés par l’entreprise, d’autres qu’il s’agit d’une mafia locale cherchant à interdire tout acte de rébellion pouvant faire baisser les profits des entreprises. Quoi qu’il en soit, ce genre d’attaque n’est pas une première à Prato comme dans le reste du pays, contre les mobilisations des travailleurs les plus exploités, en particulier des travailleurs immigrés. De nombreux piquets de grève ont été attaqués au fil des ans et des ouvriers renversés par des voitures et tués, parfois sous les yeux de la police, comme à Piacenza, devant l’entrepôt SEAM, en septembre 2016, ou à Novare devant les entrepôts Lidl en juin 2021.

Face à cette agression, les travailleurs ont réagi immédiatement. Dimanche 13 octobre, une manifestation animée a défilé devant les ateliers où le travail n’avait pas cessé. Les ex-ouvriers de l’usine GKN s’y sont joints, ainsi que le secrétaire de la CGIL de Toscane. Quant au secrétaire de la Filctem, la branche chimie et textile de la CGIL, il s’en est lavé les mains et a déclaré : « À Prato, nous avons affaire à un système de production illégal – et si certains pensent pouvoir s’attaquer au problème entreprise par entreprise, ils ne peuvent qu’en sortir perdants. Il ne s’agit pas des agissements d’un patron en particulier mais de tout un système organisé de cette façon. » À entendre ce dirigeant syndical, il faudrait laisser le soin à l’État de débrouiller tout cela.

Fort heureusement, la lutte des travailleurs lui donne tort : deux semaines après le début de la grève, Lin Weidong a finalement plié et accepté la semaine de 40 heures sur cinq jours, ainsi que la régularisation de six ouvriers pakistanais, qui avaient continué la grève après l’agression.

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