Printemps 1916 : dans L’Impérialisme, Lénine dénonçait le capitalisme fauteur de guerre18/05/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/05/LO2494.JPG.445x577_q85_box-0%2C24%2C312%2C429_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Printemps 1916 : dans L’Impérialisme, Lénine dénonçait le capitalisme fauteur de guerre

Il y a cent ans, au printemps 1916, Lénine rédigeait sa brochure L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Un siècle après, cet ouvrage reste d’une actualité brûlante.

En pleine guerre mondiale, alors que des armées de millions d’hommes s’affrontaient dans des carnages sans nom, alors que l’économie des pays les plus développés s’était transformée en une vaste production d’engins de mort, que toute la planète était mise à contribution pour la guerre, Lénine voulait répondre à la question : « Comment en est-on arrivé là ? » À cette époque comme aujourd’hui, les explications et les justifications de la catastrophe ne manquaient pas. Les nationalistes accusaient le camp d’en face, d’autres jetaient la faute sur la nature humaine ou sur celle d’un terroriste illuminé en particulier, les plus raisonnables parlaient de folie politique et du regrettable entêtement des gouvernements. Lénine, lui, allait au fond des choses, en expliquant que le développement même du capitalisme avait exacerbé la concurrence entre les différentes puissances et engendré la guerre pour le repartage du monde.

Le capitalisme des monopoles

Un siècle de développement du capitalisme avait conduit au partage du monde entre quelques grands pays et quelques puissants groupes industriels et financiers, les monopoles. Ce nouveau stade de développement, mettant fin au capitalisme de libre concurrence et inaugurant la prédominance du capital financier, Lénine l’appelait l’impérialisme, reprenant un mot qui évoquait la puissance des empires du passé et leurs méthodes de domination. Cette nouvelle époque constituait pour lui le stade suprême du capitalisme, car il montrait la nécessité de le dépasser pour arriver à une forme de société supérieure, le socialisme.

Lénine décrivait la mise en coupe réglée de la planète entière par une poignée de détenteurs de capitaux des pays les plus riches et ajoutait que, sur la base de cette économie, les guerres entre les puissances impérialistes concurrentes étaient inévitables. La guerre était le moyen ultime d’ouvrir des marchés aux marchandises et aux capitaux en quête de profits ; puisque le marché n’est pas infini, il fallait, pour le développer, conquérir celui des autres capitalistes. La guerre de 1914-1918 était ainsi l’expression de la nécessité, pour le jeune impérialisme allemand, de se faire une place aux dépens des vieilles puissances coloniales, la France et la Grande Bretagne. L’Allemagne défendait son droit à avoir des esclaves coloniaux, la France et la Grande Bretagne leur droit à conserver les leurs.

Pour Lénine, il était donc vain de prétendre lutter contre la guerre au nom de seules considérations morales, sans lutter contre le capitalisme et pour la révolution sociale. Non seulement il fallait refuser toute union sacrée au nom de la défense nationale, mais les révolutionnaires devaient travailler à « transformer la guerre impérialiste en guerre civile », autre façon de dire, comme l’avait fait le révolutionnaire allemand Karl Liebknecht : « L’ennemi principal est dans notre pays. » Cela séparait Lénine et les bolcheviks des pacifistes, des réformistes qui croyaient ou faisaient mine de croire possible le retour à l’époque d’avant 1914. De même que Marx avait démontré que le capitalisme ne pouvait pas revenir en arrière, à l’époque de l’artisanat et de la petite propriété, Lénine démontrait que l’impérialisme ne pouvait revenir en arrière, au capitalisme de libre concurrence, mais que de la guerre devait sortir la révolution.

La concentration toujours plus poussée des entreprises capitalistes, la centralisation toujours plus grande des États impérialistes, caractéristiques du début du 20e siècle, n’étaient pas seulement sources de guerres et d’oppression. Elles montraient aussi que l’économie tendait à se socialiser à l’échelle du globe et que le carcan de la propriété privée devenait obsolète. Le maintenir coûte que coûte ne pouvait que conduire à la catastrophe. Toute l’évolution du capitalisme montrait la nécessité de l’expropriation des expropriateurs, une tâche que seule la classe ouvrière pouvait accomplir.

Un livre très actuel

Le livre de Lénine marquait un grand pas dans la compréhension des événements de son époque et des moyens d’en sortir. De fait, en 1917, la guerre allait déboucher sur la Révolution russe et celle-ci conduire à la fondation de l’Internationale communiste, le parti mondial de la révolution contre le système capitaliste. Mais cette brochure, écrite il y a un siècle, décrit aussi le monde d’aujourd’hui d’une façon plus parlante que nombre d’articles contemporains et, surtout, avec une claire perspective révolutionnaire. « La construction des chemins de fer semble être une entreprise simple, naturelle, démocratique, culturelle, civilisatrice (…). En réalité les liens capitalistes ont fait de cette construction un instrument d’oppression pour un milliard d’hommes, c’est-à-dire pour plus de la moitié de la population du globe dans les pays dépendants et pour les esclaves salariés du capital dans les payscivilisés” », écrivait Lénine. Il suffit d’ajouter le pétrole au chemin de fer et de multiplier par cinq le nombre des esclaves, pour décrire la planète de 2016.

Lénine appelle à la révolution non seulement les ouvriers des pays capitalistes développés mais les opprimés du monde entier, les centaines de millions de prolétaires et paysans pauvres que l’impérialisme tient sous le joug dans ses colonies, semi-colonies et pays dominés. Cette affirmation du caractère mondial de la révolution prolétarienne se retrouva quelques années plus tard dans la politique de l’État ouvrier issu de la Révolution russe et dans celle de l’Internationale communiste à ses débuts. L’intégration sans cesse plus poussée du marché mondial, le développement de la classe ouvrière dans de nouveaux pays, les guerres permanentes de l’impérialisme pour maintenir son ordre de Kaboul à Bagdad, confirment aujourd’hui ce qu’écrivait Lénine.

Les descriptions d’une bourgeoisie de plus en plus parasitaire, vivant de la tonte des coupons de Bourse à l’ombre d’un État à son service, caractérisent toujours les financiers contemporains. L’exploitation éhontée des petits pays par les grands dénoncée en 1916, correspond toujours à la politique des pays ex-colonisateurs ou même aux rapports entre membres de l’Union européenne et à la politique extérieure des États-Unis. Lénine montrait le parasitisme de la classe dominante bloquant le progrès, développant le militarisme, l’expansionnisme, la réaction, et ce qu’il appelait la putréfaction de la société, illustrée par le carnage commencé en 1914. Il démontrait l’enchaînement de tous ces faits sociaux, la logique du développement du capital, de la guerre et de la lutte de classe, et décelait dans ce monde en crise l’approche de la révolution sociale.

Malgré le temps écoulé, malgré les transformations du capitalisme et les cataclysmes dont a été rempli ce siècle, L’Impérialisme reste d’une brûlante actualité. À un mineur sud-africain, à un ouvrier chinois, à un lycéen marocain ou à un chômeur de Roubaix, ce livre dit encore aujourd’hui : « Voilà ce qu’est ce monde et ce qu’il faut faire pour le transformer. »

Partager