- Accueil
- Lutte ouvrière n°2084
- Colombie : Une " démocratie " meurtrière !
Dans le monde
Colombie : Une " démocratie " meurtrière !
À l'occasion de la libération d'Ingrid Betancourt, la plupart des médias ont peint la Colombie d'Uribe de couleurs démocratiques qui ont peu de chose à voir avec la réalité. Il y a en Colombie une longue tradition de violence. À plusieurs reprises, au dix-neuvième et au vingtième siècle, et encore aujourd'hui, les classes possédantes ont préféré noyer dans le sang les mouvements revendicatifs des classes populaires, plutôt que de satisfaire leurs revendications.
Le fondateur des FARC, Marulanda, mort en mars dernier, était lui-même un ancien membre des milices paysannes réprimées entre 1946 et 1957, une période qu'on a appelé " la Violence ", où 300 000 personnes furent massacrées pour que les propriétaires terriens puissent continuer de prospérer.
Mais les militants regroupés autour de Marulanda, et les paysans qu'ils entraînaient, entendaient continuer de résister aux expulsions de paysans. Ils essayèrent de maintenir des zones indépendantes du pouvoir central. Celui-ci essayait de les détruire mais l'armée n'y suffisait pas, d'où les renforts des hommes de main des possédants, les groupes paramilitaires. Entre 1964 et 1966, Marulanda et ses compagnons mirent sur pied les FARC. Leur programme était essentiellement celui d'une réforme agraire, dont les paysans avaient toujours été privés. Dans les régions où ils s'implantèrent, ils offraient une protection aux paysans chassés de leurs terres par les milices des propriétaires terriens.
La bourgeoisie terrienne s'était enrichie avec le café mais, avec la chute des cours, la cocaïne devint très attractive. Dans les années 1970, les FARC finirent par s'accommoder du développement croissant de la culture de la coca, que les narco-trafiquants, alliés des grands propriétaires, transformaient en cocaïne. Ils commencèrent par prélever un impôt sur les paysans qui pratiquaient cette culture dans les régions sous leur contrôle, en échange de différents services publics (construction de routes ou assainissement de l'eau) se comportant dans ces zones comme le ferait l'État (et parce que l'État colombien n'en était pas capable). Mais trente ans plus tard, les FARC sont devenus un des intermédiaires dans le trafic de la drogue, même s'ils n'en sont pas les principaux bénéficiaires.
Jusqu'à présent, ce sont ceux qui gouvernent la Colombie qui ont interdit aux dirigeants des FARC tout retour à la politique traditionnelle. Dans les années 1980, les FARC avaient lancé une Union patriotique, avec le PC, qui s'était présentée à divers scrutins. Elle avait obtenu de bons résultats, au niveau local notamment. Mais ce retour à la politique électorale s'est traduit par une campagne d'assassinats menée par les groupes paramilitaires. Trois mille cadres et militants ont été assassinés. Et les FARC sont retournés dans la jungle pour survivre.
Les possédants ont continué de chasser des paysans de leurs terres. C'est cette politique d'accaparement des terres qui a alimenté les FARC. Des paysans expulsés se sont mis sous leur protection. Des jeunes sans travail ont rejoint leurs rangs. Dans les années 1990, la guérilla s'est beaucoup élargie.
Uribe, lui, est arrivé aux affaires en 2002 en proposant d'en finir avec l'" insécurité ". Pour les classes dirigeantes, insécurité est un synonyme de FARC, car l'insécurité générée par les groupes paramilitaires a le droit de prospérer. Inconditionnel de Bush, Uribe s'est servi du 11 septembre 2001 pour faire étiqueter les FARC comme " terroristes ". Il a bénéficié du soutien des États-Unis, avec le " plan Colombie ", censé s'attaquer à la drogue mais qui, en pratique, s'en est pris moins aux narco-trafiquants qu'aux petits paysans et aux FARC.
La guérilla semble aujourd'hui affaiblie. Elle a connu des revers militaires. Elle garde cependant des liens avec la paysannerie, même si la corruption n'a pas non plus épargné les cadres des FARC. Car si certains guérilleros ont pu faire défection en réaction contre ce qu'ils estimaient être une trahison de leurs idéaux, d'autres, moins scrupuleux, ont choisi de changer de milice en rejoignant les paramilitaires.
Dans ses déclarations, Ingrid Betancourt a vanté les mérites de la " démocratie colombienne ". Certes, on vote depuis longtemps en Colombie, mais quand un candidat à la présidence déplaît aux possédants, on l'assassine. Cela s'est produit à plusieurs reprises. Et il est en de même avec les paysans qui ne quittent pas assez vite leurs terres et les travailleurs qui défendent leurs droits. Depuis vingt ans, 2 600 syndicalistes ont été ainsi assassinés. Et non seulement ces crimes sont restés impunis, mais Uribe a blanchi les paramilitaires, justement ceux qui en sont généralement les auteurs.
Les méthodes des FARC ne peuvent évidemment susciter aucune sympathie. Mais les succès d'Uribe n'annoncent certainement pas un avenir meilleur pour la population pauvre de Colombie.