Lire : Bonnes feuilles de " Paroles de prolétaires ", d'Arlette Laguiller - "l'intérim : précarité assurée"18/08/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/08/une-1675.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

Lire : Bonnes feuilles de " Paroles de prolétaires ", d'Arlette Laguiller - "l'intérim : précarité assurée"

Nous poursuivons cette semaine la publication d'extraits du livre d'Arlette Laguiller, Paroles de Prolétaires, paru au printemps 1999. Ce livre rassemble de nombreux témoignages de travailleurs illustrant ce qu'est aujourd'hui encore la condition de la classe ouvrière.

Du chapitre intitulé Intérim, CDD et précarité, nous avons extrait le témoignage de Jean-Louis, qui a derrière lui une carrière de dix années de travailleur intérimaire comme électro-mécanicien.

" Je suis électromécanicien. Pour mon premier contrat, il a fallu que j'achète ma caisse à outils et mes chaussures de sécurité pour avoir la mission. Coût : 920 francs. C'était à prendre ou à laisser : si je ne les avais pas achetées, je n'avais pas la mission.

Quand on commence une mission, en principe, on doit avoir un contrat dans les deux jours. Dans les faits, c'est bien rare qu'on l'ait au début de la mission. C'est plutôt au bout d'une semaine, parce qu'ils veulent pouvoir nous renvoyer du jour au lendemain si on ne fait pas l'affaire.

Autre problème fréquent : la prime de précarité. Quand on a un contrat en intérim, légalement, à la fin du contrat, on doit toucher une prime de précarité. Eh bien, très souvent (pas seulement dans des petites entreprises locales, mais aussi dans des grandes sociétés), on essaie de ne pas te la payer. On te fait un contrat de trois mois par exemple. Si au bout des trois mois on te le renouvelle, on te dit que puisqu'on te l'a renouvelé, les trois mois précédents tu n'étais pas en précarité. Ils essaient comme cela de te carotter cette prime. Ils y arrivent d'ailleurs souvent. Moi, par exemple, on a essayé de me faire le coup. J'avais eu une mission de six mois. Une fois celle-ci arrivée à son terme, on m'a refait une autre mission de six mois, en me disant : " Mais non, vous n'avez pas droit à la prime de précarité sur les six premiers mois, vous n'êtes pas précaire, puisqu'on vous a refait un autre contrat. " La responsable de l'agence avait le texte sur la table, disait-elle. Elle avait l'air absolument sûre d'elle et un tel aplomb que je l'ai un peu crue. Je me suis renseigné, je l'ai rappelée et elle s'est mise en colère en disant : " Vous n'avez qu'à passer à l'agence, j'ai le dossier sur la table, il est consultable. " J'ai vérifié de nouveau. J'ai encore rappelé... et j'ai quand même réussi à toucher cette prime. Elle s'est dégonflée, mais c'est une pratique qui se fait de plus de plus.

Autre type de petite magouille désagréable pour les intérimaires : le plus souvent les missions sont interrompues entre Noël et le jour de l'An. C'est ce que nous on appelle " la prime de Noël et du jour de l'An " parce qu'on se retrouve sans mission et qu'on ne touche évidemment pas les Assedic, à cause du délai de carence de six jours.

Même technique pour les jours fériés : il n'est pas rare de voir la mission s'arrêter la veille et recommencer le lendemain. A chaque fois, on perd la journée.

Une chose désagréable aussi dans la vie de tous les jours d'un intérimaire, c'est le problème des restaurants d'entreprise. On a rarement accès à ceux-ci. Par exemple, j'ai eu des missions pour des entreprises qui travaillent en sous-traitance pour Renault. Mais je n'ai pas eu accès à la cantine Renault. C'était interdit. Alors on est obligé de casse-croûter, de pique-niquer. J'ai eu le même problème dans une grande papeterie : pas de restaurant non plus, ni de salle pour faire chauffer la gamelle.

J'ai même travaillé dans une entreprise où il n'y avait rien du tout, pas même de distributeur à boissons. On passait la journée à souder avec des gros pistolets de soudure, cela donnait évidemment soif, et il fallait qu'on vienne avec notre bouteille personnelle. Le patron avait dit que s'il installait des distributeurs d'eau, on y passerait notre vie ! Il est vrai que quand cette usine a été ouverte, le midi les ouvriers (il n'y avait pratiquement que des jeunes) mangeaient par terre dans les vestiaires. Cela a duré quelque temps, mais il y a eu une telle colère de la part de tous ces jeunes qu'ils ont fini par se mettre en grève, occuper l'usine et créer un syndicat. Depuis, les choses se sont un petit peu améliorées.

Et puis, il y a le problème de la sécurité, qui est encore moins pris en compte par les patrons quand ils emploient des intérimaires.

J'ai par exemple travaillé sept mois dans une fabrique très connue de yaourts. Un jour, le responsable de tout ce qui était " vannes " vient me chercher en me disant qu'il avait un problème avec son " obus " (un obus, c'est comme un petit obus en caoutchouc qui passe dans les tuyaux quand la production est finie, pour pousser le yaourt qui y reste et ne pas en perdre). Voilà donc mon gars qui me dit : " Tu peux me démonter ça, s'il te plaît ? " C'était une sorte de petit tuyau dans lequel l'obus était coincé. Je lui dis que je ne l'avais jamais fait. Il me répond : " T'inquiète pas, vas-y, tu prends tes clés et tu dévisses. " J'étais un peu étonné parce qu'il y avait juste une clé de treize à prendre pour desserrer deux vis, et je me demandais pourquoi il ne le faisait pas lui-même. J'ai tout de suite eu la réponse. Dès que j'ai attaqué la deuxième vis le machin m'a explosé à la figure. L'obus en question a traversé le toit de l'usine, y a fait un trou. J'ai quand même eu de la chance : il m'a juste sectionné le bout du nez. Mais si je l'avais pris en plein visage, j'étais bon.

Dans une maison de retraite, j'ai un copain qui, après un choc électrique, est resté inconscient on ne sait combien de temps. Il faisait des branchements, et comme il travaillait tout seul dans les armoires, ce qui est interdit, on l'a retrouvé collé là. Il est resté un an en observation.

Une autre fois, dans une entreprise qui fabrique de l'aggloméré, nous étions deux intérimaires qui devions installer des néons dans un local neuf de l'usine. Le chef voulait qu'on monte avec une échelle sur un mur, dont l'épaisseur était celle d'un parpaing, et qu'on marche ensuite sur le faîte de ce mur, à cinq mètres du sol, sans aucune protection, pour aller installer un néon. Nous voilà partis tous les deux en équilibre, avec le néon dans les bras. Mais dès qu'il a fallu lever les bras pour installer le néon, nous étions absolument incapables de le faire, alors nous avons refusé. Le chef est arrivé en disant : " Qu'est-ce que c'est que ça ? moi je le fais ! " Nous lui avons répondu : " Vas-y, monte. " Il n'est évidemment pas monté. Il a loué une nacelle, ce qui coûtait cher pour un néon. Et ce qu'il aurait voulu, c'est que nous, nous prenions des risques pour ne pas avoir à la louer.

J'ai travaillé chez Renault, avec une entreprise de sous-traitance qui s'occupe des ponts roulants. Il y avait une petite poutrelle qui les gênait pour monter un pont. C'était le soir, et ils voulaient qu'on fasse très vite. Nous n'étions que deux. Le chef de chantier vient nous voir et nous dit : " Vous montez chacun sur une échelle. " Comme la poutrelle était à trois, quatre mètres du sol, il fallait donc prendre des échelles assez longues, monter dessus, dévisser la poutrelle qui était fixée au plafond. Nous avons dit : " Ça va sûrement être lourd, il faut un palan. " " Non, non, on n'a pas le temps. " Là-dessus, le chef s'en va et nous nous retrouvons tous les deux à devoir démonter ce machin. Nous voilà montés chacun sur une échelle. Je dévisse de mon côté, mon collègue du sien. Nous nous sommes retrouvés avec la poutrelle à bout de bras. Elle était extrêmement lourde et pas question de la lâcher, sinon elle nous tombait sur les genoux. Alors il a fallu descendre des échelles en portant cette poutre sur les bras, alors que nous n'avions rien pour nous appuyer. Le lendemain j'étais incapable de bouger. J'ai eu trois mois d'arrêt de travail. Tout cela pour gagner du temps. "

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