Lire : Notre ami Ben Ali, de Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi10/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1639.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Les dernières élections tunisiennes ont vu triompher pour la troisième fois le général Ben Ali, avec plus de 99 % des voix. Cette fois encore, la fraude a été massive. Ne supportant aucune critique, le gouvernement a fait arrêter les opposants ayant osé dénoncer l'absence de libertés publiques, et même les émissions d'Antenne 2 ont été brouillées au lendemain des résultats. C'est ce régime policier que dénoncent deux journalistes du Monde et du Canard enchaîné, Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, dans le livre Notre ami Ben Ali, préfacé par Gilles Perrault.

Avant d'être au pouvoir, Ben Ali fit ses classes comme policier. Formé d'abord en France par l'armée, puis aux USA à l'Ecole du renseignement et de la sécurité, il devint en janvier 1978 le directeur de la Sûreté de Bourguiba. Son ascension fut jalonnée par les vagues de répression qui marquèrent les dernières années du régime. En 1978, contre le syndicat UGTT, où la police tira et fit une centaine de morts. En 1984, contre la population qui protestait contre l'augmentation du prix du pain, de la farine et de la semoule. En 1987, sentant que Bourguiba allait se débarrasser de lui, il prit les devants, s'empara du pouvoir et relégua le vieux président dans sa ville natale de Monastir.

A l'époque, ses déclarations démocratiques valurent à Ben Ali le ralliement d'une bonne partie des hommes politiques qui se disaient de gauche. Et ceux-ci continuèrent à le soutenir, même lorsque, après les premières élections avec 99 % des suffrages, il devint évident que Ben Ali n'avait rien à envier à Bourguiba pour ce qui était de ses conceptions démocratiques, et qu'il n'avait tiré de prison les détenus du précédent régime que pour y faire entrer ceux de son propre régime. La répression contre les islamistes, dont l'influence se développait à l'époque, servit de justification pour beaucoup de ces hommes de gauche à la caution qu'ils apportaient à un régime policier. Ils continuèrent donc à encenser le dictateur et à vivre de ses largesses, même lorsque les syndicalistes, les militants d'extrême gauche, voire des personnes tout simplement critiques envers Ben Ali prirent à leur tour le chemin des cachots.

C'est la réalité de cet Etat que nous décrivent avec précision les deux auteurs. Toute personne s'opposant tant soit peu au régime est rapidement en butte à de sordides calomnies, à des menaces et des violences visant également ses proches. Et si elle ne cède pas, c'est, à l'issue d'un procès truqué, l'enfermement dans une prison où la torture est monnaie courante. Dans ces conditions, la presse est complètement bâillonnée, et rares sont ceux qui osent encore dénoncer les exactions du régime. A l'abri de cette répression permanente se poursuit le pillage du pays par les clans liés à la famille Ben Ali.

Tout cela n'a pas empêché ce régime de bénéficier de toutes les complaisances diplomatiques, en particulier en France : Chirac, qui a abondamment parlé du " miracle tunisien ", Pasqua, qui aidait à la traque aux opposants en France, Seguin, qui ose encore aujourd'hui déclarer que les dernières élections ont été parfaitement démocratiques. Mais aussi Mitterrand, qui ne voulait pas entendre parler de la torture et de la répression lors de ses voyages officiels à Tunis. Il ne fallait pas risquer de compromettre les relations commerciales.

La presse française aussi a tenu son rôle dans cette partition, en particulier un journal comme le Nouvel Observateur, où Jean Daniel lançait fin 1992 une pétition où il se disait " indigné par une vision délibérément négative " de ce qui se passait en Tunisie.

Beaucoup de ces soutiens existent toujours, même s'ils se font souvent plus discrets. On s'affiche moins avec Ben Ali. Il est de meilleur ton de soutenir le Maroc de Mohamed VI sur lequel, soit dit en passant, les auteurs se font manifestement les mêmes illusions que celles qu'ils évoquent à propos des premières années du régime Ben Ali. Mais la dictature imposée au peuple tunisien, elle, continue de plus belle.

Ce livre permet en tout cas de connaître une partie de la sinistre réalité, à laquelle sont directement confrontés une partie des travailleurs qui, autour de nous, sont originaires de Tunisie.

Daniel MESCLA

Notre ami Ben Ali, L'envers du " miracle tunisien " de Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, éd. La Découverte, 98 F.

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