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Leur société
Nuit debout : entre deux chaises
Le mouvement Nuit debout occupe toujours la place de la République à Paris et a même essaimé dans quelques autres villes. Il continue, en ne mobilisant pour l’instant que quelques milliers de participants, à faire la une des médias et à susciter les flatteries sans vergogne de commentateurs en mal de copie et de politiciens en mal de public.
La place de la République a été ainsi visitée par l’ancien ministre grec de l’Économie, Yanis Varoufakis. Ce dernier, en tournée de conférences, a apporté son soutien à Nuit debout le samedi et son amitié à Macron le mardi, donnant ainsi une leçon de souplesse politique à ses auditeurs les plus bienveillants.
Le philosophe réactionnaire Alain Finkielkraut, défenseur de l’identité nationale, pourfendeur du progrès en général et du communisme en particulier, a également fait le déplacement. Il a été fraîchement accueilli et pose depuis au martyr de la liberté d’expression, rôle dont il est familier. Mais sa présence a réussi à diviser les partisans de Nuit debout entre ceux qui pensent qu’ils ne sont pas là pour écouter les adversaires du mouvement et ceux qui disent que tout le monde doit pouvoir s’exprimer place de la République. Il n’aura donc pas fallu deux semaines pour que ce mouvement, qui s’affirme totalement en dehors des partis, se pose la question de sa délimitation politique : quelle opinion est tolérable et discutable à l’intérieur du mouvement, de quoi ses partisans ont besoin de parler entre eux et, en fait, sur quelle base sont-ils réunis ?
L’autre question posée à Nuit debout, et soigneusement esquivée par ses initiateurs, est de savoir s’il s’agit d’un mouvement de travailleurs ou de citoyens. Le mouvement a beau avoir commencé comme une contestation de la loi travail, le caractère de classe de cette revendication initiale a été rapidement et volontairement obscurci, au moins pour la minorité qui se rassemble à Paris. Ce n’est pas un hasard. En Espagne, Podemos, qui semble être une référence pour Nuit debout, s’est construit à partir du mouvement des Indignés en ôtant délibérément et pas à pas tout caractère de classe à ce mouvement. Podemos est aujourd’hui un parti comme un autre, aspirant à gérer la société telle qu’elle est, c’est-à-dire au compte des possédants. Son rejet des partis traditionnels et de la politique politicienne a accouché d’un nouveau parti, copie conforme des anciens. Du refus de s’affirmer du camp des travailleurs il est passé tout naturellement aux offres de service à celui des capitalistes.
Nuit debout n’en est certes pas là, ne serait-ce que parce que ce mouvement est loin d’avoir la puissance de celui des Indignés espagnols. Mais, s’il perdure, il ne suffira pas de la présence catalytique de quelque Finkielkraut pour l’obliger à préciser ses idées et aider ceux qui sont sincèrement révoltés par l’ordre social à s’orienter. Ceux-là auront besoin d’une politique, et d’une orientation de classe.