Loi El Khomri : la médecine du travail visée20/04/20162016Journal/medias/journalarticle/images/2016/04/p4_dessin_Lupo_medecine.jpg.420x236_q85_box-0%2C38%2C465%2C300_crop_detail.jpg

Leur société

Loi El Khomri : la médecine du travail visée

Le projet de loi El Khomri n’a vraiment oublié aucune des revendications patronales, notamment, parmi celles-ci, un nouvel allégement des quelques obligations des employeurs en matière de santé au travail qui subsistaient encore.

Illustration - la médecine du travail visée

Ce projet – dans la droite ligne des réformes de la médecine du travail qui se succèdent depuis une quinzaine d’années – réduit considérablement les modalités de surveillance médicale des salariés et modifie sur plusieurs points le régime de l’inaptitude en assouplissant les conditions des licenciements qui peuvent en découler.

La visite médicale d’embauche disparaîtrait. Seuls les travailleurs affectés à des postes présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers, devraient passer un examen médical d’aptitude renouvelé périodiquement. Les modalités d’identification de ces travailleurs ainsi que les mesures de suivi dont ils bénéficieraient restent mystérieuses, dans l’attente des décrets à venir. C’est pourquoi quasiment tous les syndicats de médecins du travail dénoncent le rôle qu’on veut leur faire jouer : ils devraient de fait sélectionner les travailleurs les plus adaptés aux risques et ainsi exonérer l’employeur de ses obligations légales de prévention.

Il y a également dans le texte la notion nouvelle des risques encourus par des tiers autres que les salariés de l’entreprise. En fait cette disposition a clairement été demandée par les juristes patronaux pour couvrir les risques des entreprises, en particulier celles de transport. Car en cas d’accident routier ou aérien, pourquoi ne pas invoquer la défaillance humaine que le médecin n’aura pas su diagnostiquer à l’avance ?

La visite médicale systématique tous les deux ans disparaît également, le projet de loi renvoie les modalités et la périodicité de ces examens à un décret à venir. Sachant que différents rapports préconisent d’en ramener la périodicité à seulement tous les quatre ou cinq ans, c’est clairement l’abandon d’un minimum de suivi médical des travailleurs, déjà pourtant sérieusement mis à mal depuis 2004 avec la suppression de la visite annuelle.

Le projet de loi comporte également toute une série de mesures scandaleuses sur « l’inaptitude au poste médicalement constatée ». En effet, avec la dégradation des conditions de travail résultant de la course à la productivité imposée par les patrons, on estime qu’au moins 500 000 inaptitudes, partielles ou totales, temporaires ou définitives, sont prononcées tous les ans vis-à-vis de salariés qui, cassés, usés principalement par le travail, ne peuvent plus tenir leur poste. Les pathologies principales sont les troubles musculo-squelettiques et les troubles psychosociaux. Avec les textes actuels qui prévoient, au moins sur le papier, des aménagements de postes ou des reclassements, les rares études sur le sujet démontrent déjà que, dans neuf cas sur dix, l’inaptitude débouche sur le licenciement !

Nul doute que, si les nouveaux textes devaient être appliqués, ce serait un encouragement aux patrons à se débarrasser encore plus vite des travailleurs qui ne peuvent plus tenir leur poste du fait de leur état de santé. Le projet ne prévoit plus qu’une seule visite médicale au lieu de deux actuellement pour le constat d’inaptitude. Il réduit encore les obligations de reclassement, notamment en remplaçant systématiquement le mot « emploi » par celui de « poste ». Ce n’est pas un détail car, selon les juristes des syndicats de médecins du travail, cela peut permettre de contourner la jurisprudence actuelle. Les possibilités de recours d’un salarié qui contesterait son « inaptitude à tous postes dans l’entreprise », là aussi seraient de fait annihilées. En effet, le recours se ferait devant les Prudhommes, et non plus devant l’inspecteur du travail et le médecin inspecteur comme actuellement. Quand on connaît les délais de jugement, le travailleur aura pu être licencié depuis des mois avant que le tribunal ne se prononce !

Le gouvernement a eu le culot de regrouper ces textes sous le titre « Moderniser la médecine du travail » alors que, sur ce sujet de la santé au travail comme sur les autres, la loi El Khomri ramènerait des décennies en arrière : raison de plus pour imposer son retrait !

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