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Les confessions du général Aussarresses : Le bavard de la « grande muette »
Dans un nouveau livre d'entretiens avec un cinéaste documentariste, le général Aussaresses, spécialiste de la torture pendant la guerre d'Algérie, qui avait reconnu son rôle dans un précédent livre, revient sur d'autres facettes de sa carrière : instructeur militaire transmettant ses compétences particulières, agent des services secrets français et marchand d'armes pour Thomson. Et cela, toujours « au service de la France » car, dans ses activités menées souvent dans l'ombre, il agissait bien sur ordre de l'État ou d'un grand groupe capitaliste.
À son arrivée à la présidence des États-Unis en 1961, l'administration de John F. Kennedy, présenté alors comme un homme jeune et sympathique, estimait que l'armée américaine n'était pas qualifiée pour écraser les guérillas d'Amérique latine ou du Viêt-nam. Elle pensait que cette armée et ses armées satellites d'Amérique latine devaient apprendre de l'armée française, qui avait mené la bataille d'Alger. Le secrétaire d'État Robert McNamara s'adressa donc à Pierre Messmer, alors ministre de De Gaulle, et Aussaresses devint instructeur des officiers nord et sud-américains. L'art qu'il enseignait - on parle depuis d'« école française » en ce sinistre domaine - était celui de l'arrestation, de l'interrogatoire et de la torture d'un opposant, le tout au nom de la lutte contre la subversion et le communisme, réel ou inventé...
Cette activité lui permit de se lier à de nombreux cadres militaires sud-américains, dont quelques-uns allaient devenir des dirigeants en vue, puisque dans les années suivantes les militaires s'emparèrent du pouvoir en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Chili, au Paraguay et en Uruguay. Dans les années soixante-dix, on parla d'un « plan Condor », une coordination entre les armées d'Amérique latine parrainée par Washington, qui allait organiser les coups d'État et éliminer des opposants, le plus souvent de gauche. Aussaresses, attaché militaire français au Brésil en 1973, c'est-à-dire représentant des services secrets français à l'ambassade, se défend d'avoir participé à ce plan mais admet avoir formé auparavant ses acteurs au métier de tortionnaire.
En 1975, il prit sa retraite de colonel et fut versé dans la réserve avec le grade de général de brigade. Quelques mois plus tard, il était recruté par Thomson (le pantouflage n'est pas réservé aux politiciens) et devint un représentant commercial de sa branche armement. Grâce à son carnet d'adresses, il exerça surtout en Amérique latine. C'est ainsi qu'il apprit que Barbie, conseiller militaire de l'armée bolivienne, avait bénéficié, sous Giscard, d'un pot-de-vin payé par le groupe GIAT, une entreprise de l'État français. Des commissions accompagnent en effet chaque vente d'armes. Et, bien sûr, aucun responsable de l'État français n'ignorait le passé de Barbie, tortionnaire nazi à Lyon sous l'occupation.
Aussaresses vendit aussi des armes à l'Irak au moment où commençait sa guerre de huit ans avec l'Iran, tandis qu'une entreprise concurrente (Luchaire) en vendait à l'autre camp. Le même double jeu eut lieu pendant la guerre des Malouines qui opposa les armées britannique et argentine.
Aussaresses a pris sa retraite en 1983. Mais, n'en doutons pas, d'autres ont remplacé le général à ses postes successifs. L'armée peut torturer à l'occasion (on a vu en Irak que l'armée américaine n'a pas perdu la main), et les services secrets continuent de réaliser des opérations « homo » (pour homicide, c'est-à-dire liquider un gêneur). Les marchands d'armes aussi distribuent toujours des commissions pour appâter les acheteurs de fournitures militaires. Dans dix ou vingt ans, un autre viendra peut-être raconter une affaire de ce genre. À condition qu'elle ait été conclue depuis longtemps...