Noël 1914 sur le front : Trêves et fraternisations31/12/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2015/01/2422.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Noël 1914 sur le front : Trêves et fraternisations

Lors du déclenchement de la guerre en août 1914, le ralliement des principaux dirigeants socialistes et syndicalistes à leur bourgeoisie et à la barbarie que les rivalités impérialistes avaient fait jaillir, avait laissé les travailleurs sans aucune perspective. La rage au ventre, les militants ouvriers, abandonnés par leurs dirigeants et désorientés par leur trahison, rejoignirent les uns après les autres leurs unités dans les casernes ou au front.

Pour maintenir les soldats et les travailleurs de l'arrière dans l'obéissance, des juridictions d'exception furent mises en place. Au front, des centaines de soldats furent fusillés durant les premiers mois de guerre dans l'ensemble des pays à titre « d'exemples » après des procès expéditifs. D'autres furent abattus par leurs officiers d'une balle dans la nuque. La contrainte, la terreur de la hiérarchie et de la justice militaire étaient en effet indispensables aux états-majors pour maintenir les hommes dans l'obéissance.

Une même « communauté de souffrance »

Mais dès que cette pression se relâchait les gestes de sympathie et d'humanité entre combattants se multipliaient. Le « bourrage de crâne » patriotique qui avait emporté une partie des civils placés sous l'uniforme et permis d'imposer la guerre aux populations se heurta en effet rapidement aux sentiments d'horreur et de révolte que la guerre suscitait parmi les combattants. Sans forcément parler la langue de ceux qui se trouvaient dans les tranchées d'en face, parfois à quelques dizaines de mètres seulement, les hommes se comprenaient. Ainsi que l'écrit Louis Barthas dans ses Carnets de guerre : « La même communauté de souffrance rapproche les coeurs, fait fondre les haines, naître la sympathie entre gens indifférents et même adversaires. Ceux qui nient cela n'entendent rien à la psychologie humaine. Français et Allemands se regardèrent, virent qu'ils étaient des hommes tous pareils. » Beaucoup parmi eux avaient conscience d'être sacrifiés pour la défense des intérêts des capitalistes et des « gros » de l'arrière et de n'être au fond, selon l'expression des soldats français, que des « pauvres couillons du front ».

Les trêves de Noël 1914...

Cette conscience parfois diffuse se transforma dès le premier hiver de la guerre en véritables scènes de fraternisation. Ainsi que l'a rappelé le film Joyeux Noël, des récitals furent organisés dans le « no man's land » séparant les tranchées. Il suffisait qu'un soldat crie « Mi-temps » pour que les coups de feu cessent. Ceux-ci reprenaient au passage d'un officier, les soldats prenant garde de tirer sans risquer de toucher qui que ce soit dans le camp d'en face. Ailleurs, les soldats échangeaient des vivres ou des cigarettes. Un soldat britannique raconte : « Au bout d'un moment, des types de chez nous sont sortis pour retrouver ceux d'en face jusqu'à ce que des centaines d'hommes, littéralement, en provenance des deux côtés, se retrouvent sur le « no man's land » à se serrer la main, à échanger des cigarettes, du tabac et du chocolat, etc. » Dans un régiment, une « brasserie » fut ouverte aux hommes s'affrontant quelques heures auparavant ! Ailleurs, une partie de football, opposant soldats britanniques et allemands, fut organisée.

La presse britannique, alors moins strictement bâillonnée qu'en France, publia même des reportages sur ces événements.

... et la frayeur qu'elles suscitèrent

Mais celles-ci inspiraient une telle frayeur aux états-majors et aux classes dirigeantes que tout fut fait pour y mettre un terme et empêcher leur renouvellement. La répression s'abattit sur les hommes qui y avaient pris part ou, tout simplement, les avaient évoquées dans une lettre à leurs proches. Des unités compromises furent démantelées et envoyées en première ligne, des « meneurs » jetés en prison. C'est aussi dans le but de briser les liens naissants entre soldats de part et d'autre de la ligne de front que les chefs maintenaient, à l'arrière comme dans les premières lignes, une activité permanente ou des « coups de main » sans objectifs militaires réels.

Malgré tout, sans avoir le caractère spectaculaire de ces « trêves de Noël » 1914, les mouvements de fraternisations ne cessèrent jamais et prirent de nombreuses formes. Au printemps 1917, ils se conjuguèrent avec un mouvement puissant de mutineries dans des centaines de régiments, en France et dans plusieurs pays.

Les fraternisations survenues sur le front moins de six mois après le commencement de la Première Guerre mondiale étaient les premières manifestations du rejet de la guerre par les populations et de leur volonté de paix. Elles étaient la preuve que, contrairement à ce que continuent à affirmer un siècle plus tard nombre d'historiens, les soldats étaient loin d'avoir « accepté d'être de la chair à canon » par patriotisme et consenti unanimement à la guerre. Surgies spontanément, elles portaient en elles la possibilité d'en finir avec la barbarie et de voir renaître l'internationalisme prolétarien trahi par ses chefs en août 1914. Mais elles démontrèrent également la nécessité d'un parti à même de donner des objectifs politiques communs à ces refus individuels ou collectifs, de faire de ces gestes d'humanité des armes de combat contre les responsables de cette boucherie, de transformer en somme la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire. Parce qu'un tel parti existait en Russie en 1917, le Parti bolchevik, il donna en octobre 1917 aux fraternisations et aux mutineries le seul objectif capable d'en finir avec la barbarie et la guerre : la prise du pouvoir par le prolétariat.

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