Fondation Pinault : Tableaux pour une spéculation12/05/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/05/une1919.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Fondation Pinault : Tableaux pour une spéculation

Le milliardaire François Pinault a annoncé le 9 mai qu'il n'exposerait pas sa collection d'oeuvres d'art à Boulogne-Billancourt, comme prévu, mais à Venise et cette nouvelle a fait les gros titres de la presse. Par exemple, le journal Le Figaro, propriété d'un autre milliardaire, n'a pas de mots trop durs pour "les pesanteurs d'un monde qui ignore tout des passions des hommes" et fustige les fonctionnaires qui n'auraient pas obéi assez vite au grand homme.

François Pinault, qui est une des plus grosses fortunes du pays et un ami personnel de Chirac, est connu pour la facilité avec laquelle il dispose de l'argent de l'État pour ses spéculations, ainsi que pour la complaisance que manifestent les gouvernements en couvrant ses indélicatesses. Propriétaire des magasins du Printemps, de la Fnac, de La Redoute, de Conforama, de Gucci, Saint-Laurent, Boucheron, Château-Latour, actionnaire de Bouygues, etc. il a, pendant des années, dissimulé au fisc le quart de sa fortune grâce à une société écran basée dans un paradis fiscal. Puis, dans une négociation secrète, il a réglé ses arriérés d'impôts ainsi que les droits de succession sur les trois milliards d'euros qu'il a légués à ses enfants. L'État lui a facturé le tout 500 millions d'euros, un vrai cadeau comparé à l'étendue de ses propriétés et de ses bénéfices. Par exemple, dans l'affaire de l'assurance américaine Executive Life, Pinault a gagné un milliard de dollars en ruinant au passage 300000 assurés. La justice californienne ayant mis son nez dans l'affaire, l'État français a payé 500 millions de dollars d'amende pour que ce requin s'en tire avec le moins de dégâts possible.

Ce financier est également un amateur d'art, plus particulièrement d'art contemporain. Il a pour cela quelques solides raisons: les oeuvres d'art ne sont pas prises en compte dans le calcul du patrimoine imposable et la fortune du propriétaire augmente en même temps que la cote des oeuvres qui, dans le cas de l'art contemporain, est susceptible de grimper très vite. Or, comme Pinault est à la fois un gros acheteur, le propriétaire de grandes salles de ventes et un homme influent sur la politique culturelle de l'État et les goûts du public fortuné, il participe lui-même à la fixation de la cote et donc à l'augmentation de la valeur de son patrimoine. Pour cela, il a même pris à son service comme conseiller privé l'ancien ministre de la Culture Aillagon. Comme ministre, ce dernier n'avait pas seulement réduit les ressources des intermittents du spectacle, il avait aussi fait une loi qui permet aux sociétés de déduire de leurs impôts 60% de leurs dépenses pour "soutenir les arts"..., y compris sans doute l'art de faire des bénéfices. Dans "la culture", comme dans l'industrie et la finance, les hauts fonctionnaires passent du public au privé pour servir les mêmes intérêts.

Les goûts, ou plutôt les placements de Pinault, sont donc très sûrs. Il possède par exemple plusieurs toiles de Rothko, un peintre américain mort en 1970, dont la dernière oeuvre sur le marché a été vendue 6,4 millions d'euros et dont la cote ne cesse de monter: le moindre de ses dessins vaut aujourd'hui 500000 euros. On comprend que Pinault apprécie tout particulièrement cet artiste.

Cette collection, "oeuvre de toute une vie" selon ses mots, Pinault veut la montrer. Pour cela il était près à investir 150 millions d'euros (en 2004, son seul paquet d'actions de la société Bouygues lui a rapporté 130 millions d'euros...) pour faire construire un musée sur l'île Seguin, à l'emplacement des anciennes usines Renault de Boulogne-Billancourt. Son musée aurait occupé trois hectares et les quarante deux restant devaient être aménagés à sa convenance, avec parkings, passerelles, hôtel quatre étoiles etc., sans que cela lui coûte un centime et le plus vite possible, car ce pharaon ayant 69 ans, il ne peut attendre sa pyramide trop longtemps.

Mais quelque chose a dû clocher parce que le milliardaire se dit aujourd'hui "victime de la pesanteur de l'administration", annule l'opération et achète un palais à Venise pour y accrocher ses tableaux. Les médias présentent l'opération immobilière ratée (ou suspendue, car il s'agit peut-être de faire monter les enchères) comme une catastrophe nationale qui prive le public d'oeuvres importantes. Ces gens sont tellement à genoux devant la richesse qu'ils nient l'évidence: ce qui empêche le public de voir ces tableaux c'est que ce sont les propriétés privées et les objets de spéculation de Pinault et qu'il a le droit d'en faire ce qu'il veut, y compris de les enfermer dans des coffres-forts en attendant que leur valeur augmente!

À part cela rien n'interdirait de les exposer tout de suite. On pourrait les mettre au Louvre ou à Versailles. Elles y côtoieraient bien des oeuvres qui ont été aussi en leur temps les propriétés personnelles des riches et des puissants... avant de tomber dans le domaine public à l'occasion d'une révolution.

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