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Leur société
La colonisation française : Quand la "civilisation" apporte la barbarie
Une fois n'est pas coutume, en France, la commémoration "de la victoire des alliés, le 8 mai 1945" a laissé une toute petite place à l'évocation de l'épisode, peu glorieux pour la France, de la répression massive commise par l'armée, la gendarmerie et des milices de colons français ce même jour contre la population algérienne du Constantinois.
Déjà, il y a quelques mois, l'ambassadeur de France en Algérie en visite à Sétif, l'une des villes où avait débuté le massacre de 1945, déclarait que ces événements constituaient une "tragédie inexcusable". Michel Barnier, le ministre des Affaires étrangères français, revenant sur les déclarations de son ambassadeur, a expliqué qu'il fallait, en commun avec les Algériens, "examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour nos deux peuples." Soixante années plus tard, la repentance, si l'on ose utiliser ce terme, reste prudente, voire timide pour ne pas dire hypocrite. Ces pages ont été "douloureuses pour nos deux peuples" dit le ministre, comme s'il y avait la moindre symétrie possible.
Du côté des colonisateurs, il y eut quelques dizaines de morts, conséquence de la colère de la foule, à la suite de l'assassinat d'un jeune manifestant algérien, coupable seulement de porter le drapeau de ce qui n'était pas encore son pays, puisque l'Algérie était alors une colonie française, conquise cent dix ans plus tôt par la force brutale, féroce, des troupes coloniales. De l'autre, au bas mot, il y eut 15000 morts, voire 45000 morts, selon les historiens. Et ce ne sont là que les aspects les plus sanglants d'une colonisation, faite quotidiennement d'humiliations, de misère, d'oppression pour tout un peuple.
Pour en ajouter encore en matière d'hypocrisie, Barnier a précisé "qu'il fallait encourager la recherche des historiens, de part et d'autre, qui doivent travailler ensemble, sereinement sur ce passé mutuel." Comme si cette histoire, dans ses grands traits et même dans ses détails, n'était pas établie.
On ne peut manquer de rapprocher les propos de Barnier de ceux du ministre délégué aux Anciens combattants qui, dans un point de vue publié dans le quotidien Le Monde du 7 mai 2005, revenait sur l'oeuvre civilisatrice de la colonisation française. Il faisait référence à la loi concernant l'indemnisation des harkis qui précise que les programmes scolaires "reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord".
Il ne s'agit plus, dans ce cas, d'un travail que l'on demande aux historiens, mais d'une mission qu'une loi assigne aux enseignants. Ceux-ci protestent à juste titre en faisant circuler une pétition, contre le rôle qu'on voudrait leur faire jouer.
Car de quel rôle positif s'agirait-il? La construction de routes, de ponts en nombre limité, édifiés essentiellement en fonction des besoins des colons ou des industries locales, et puis des écoles dont on peut mesurer le bilan par un seul chiffre, celui des enfants algériens alphabétisés avant 1954: moins de 10%.
Comme si ces quelques réalisations, avant tout utiles surtout aux colonisateurs, effaçaient à la fois la barbarie et le coût humain des conquêtes coloniales et des décennies qui ont suivi.
Si les peuples se sont révoltés contre cette colonisation, ce n'est pas, comme on veut nous le laisser croire, parce qu'ils seraient des ingrats, ne sachant pas reconnaître les bienfaiteurs, mais parce que cette prétendue civilisation qu'on leur a imposée, avait le visage de la barbarie à l'échelle de tout un pays, parfois de continents entiers. C'est sur cette barbarie que les riches des pays riches ont édifié leur fortune. C'est cette réalité-là, incontestable, qui est inscrite dans l'Histoire. Et pas une prétendue version qui laisserait entendre, dans un bilan faussement équilibré, qu'il y a eu du bon et du mauvais de chaque côté.