Dubaï : requins au pays de l’or noir27/12/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/12/2891.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Dubaï : requins au pays de l’or noir

À l’occasion de la COP 28 à Dubaï, les armateurs les plus puissants ont déclaré solennellement que leurs navires n’émettront plus un gramme de CO2 en 2050.

Le sujet est d’importance car onze milliards de tonnes de marchandises ont transité par bateau en 2022, émettant 3 % du total des gaz à effet de serre, ces deux chiffres étant en constante augmentation. MSC, Maersk et CMA CGM, les leaders du verdissement en haute mer, représentent plus de la moitié du trafic mondial de conteneurs et ont, grâce à ce quasi-monopole, engrangé des bénéfices record ces dernières années, prenant place désormais parmi les plus puissants groupes capitalistes au monde.

Leurs dirigeants ont exigé à Dubaï d’avoir une voix prépondérante dans l’Organisation maritime internationale, l’organisme chargé d’édicter les règlements, y compris en matière de décarbonation, afin que leurs intérêts passent en premier. Ils exigent aussi des compensations financières pour changer de carburant et proposent en ce sens une nouvelle fiscalité sur les carburants marins. Naturellement, elle devra être taillée à leur mesure.

Forts de leurs bénéfices accumulés et certains de continuer à régner sur le commerce maritime, les trois géants ont commencé à faire passer quelques bateaux du fioul lourd au GNL et au méthanol, réputés moins polluants. La conversion complète de leurs flottes prendra vingt-cinq ans, le temps d’amortir les bateaux existants et d’arriver à la date butoir de 2050. Les armateurs monopolistes exigent que les États fixent la date à partir de laquelle les moteurs au fioul lourd seront interdits à la construction ; qu’ils taxent les navires consommant ce carburant à l’exception de ceux appartenant à des compagnies qui passent au méthanol ; qu’ils subventionnent le méthanol, sa production, sa distribution et les installations portuaires nécessaires. MSC, Maersk, CMA CGM et leurs alliés veulent donc que leur transition écologique soit financée par l’argent public et par des impôts sur leurs concurrents moins puissants.

Venant de sociétés qui ont rançonné la planète ces deux dernières années et ont de quoi racheter à peu près tout ce qui les intéresse, de telles prétentions auraient de quoi indigner. C’est évidemment le contraire qui s’est produit et le monde entier, du moins au filtre des médias, s’incline devant leur vertu. De plus, les pouvoirs publics ont pris les devants. Ainsi, pour ce qui est de la France, Macron a annoncé 500 millions d’euros d’argent public pour décarboner les navires, le port de Marseille a débloqué 370 millions pour passer « au vert » et celui de Brest met 400 millions au pot, sur les dix prochaines années, pour faire de même et, en particulier, rendre possible le ravitaillement en méthanol sur ses quais. Le 19 décembre, l’État a signé avec CMA CGM une convention pour l’aménagement « vert » des grands ports des Antilles, assortie d’une aide de 250 millions d’euros.

En revanche, lorsque l’Union européenne annonce que les armateurs vont payer, au 1er janvier 2024, la même taxe sur les émissions de CO2 que les autres industriels, mais dix-neuf ans après eux, les armateurs répondent… en publiant leurs augmentations de tarifs sous prétexte de taxe. Ils n’ont même pas pris le temps, semble-t-il, de consulter la liste, pourtant longue, des exonérations prévues pour leurs navires et encore moins d’avouer que, pour eux, cette taxe sera particulièrement indolore.

Cerise sur le conteneur, la preuve que les moteurs au méthanol seraient, en prenant tout en compte, moins polluants que ceux au fioul lourd est loin d’avoir été apportée et la question semble aussi débattue et aussi mal posée que celle du passage de la voiture thermique à la voiture électrique. Quoi qu’il en soit, cette transition, sous l’aile protectrice et généreuse des États aura une conclusion évidente, sans doute recherchée : le renforcement du monopole MSC, Maersk, CMA CGM.

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