Décembre 1983 : la Marche pour l’égalité et contre le racisme27/12/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/12/2891.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

Décembre 1983 : la Marche pour l’égalité et contre le racisme

Le 3 décembre 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme rassemblait près de 100 000 personnes dans les rues de Paris. Un mois et demi plus tôt, dix-sept marcheurs s’étaient élancés de Marseille, parmi lesquels huit jeunes du quartier populaire des Minguettes de Vénissieux, en banlieue de Lyon.

Les promesses de « changer la vie » du gouvernement de gauche de Mitterrand, élu en 1981, étaient déjà usées. L’heure était aux économies et plus de deux millions de travailleurs avaient été jetés à la rue, parmi lesquels beaucoup de travailleurs immigrés. Cette génération, celle des parents des futurs jeunes marcheurs, ne s’était pas laissé faire.

Les travailleurs immigrés dans les luttes

Au printemps 1982, les ouvriers immigrés, qui tenaient les postes les plus durs et mal payés des chaînes de montage des usines Citroën et Talbot se mettaient en grève. Ces « grèves de la dignité » revendiquaient le droit, face à la dictature patronale de la famille Peugeot, de se syndiquer ailleurs qu’au syndicat contrôlé par le patron, et de ne plus subir les comportements racistes des chefs. Un gréviste témoignait ainsi : « Ce qui était devenu insupportable, c’était de se faire traiter d’esclave, de bougnoule. […] Toutes les semaines, il fallait qu’un ouvrier paie une bouteille de Ricard, qu’il ne buvait pas, c’était pour boire entre régleurs, chefs d’équipe et contremaîtres. […] Il y avait aussi les interprètes, pour les Arabes, mais aussi les Turcs, les Yougoslaves, les Portugais, etc. Ceux-là étaient là pour interpréter les volontés de la direction, alors l’ouvrier ne pouvait absolument pas discuter. »

Les grèves étaient reparties en janvier 1983 pour des augmentations de salaire dans plusieurs usines automobiles, de Chausson à Renault ou Citroën. Le gouvernement de gauche, qui comptait alors quatre ministres communistes, ne dédaigna pas les arguments xénophobes pour tenter de les casser. Alors que le patronat et les médias déchaînaient une campagne raciste contre les grévistes, le Premier ministre socialiste, Mauroy, les accusa d’être manipulés par des extrémistes religieux. Le gouvernement entérina d’ailleurs les premiers plans de licenciements massifs, dont celui de 10 000 ouvriers de l’automobile, à l’été 1983. Dans les familles immigrées, la jeunesse se retrouvait de plus en plus en butte au chômage, mais aussi au racisme.

La révolte des jeunes

Les expéditions contre les immigrés et les crimes racistes étaient fréquents. Durant le seul été 1983, 31 maghrébins furent tués ou blessés par des tirs de policiers ou de crapules racistes armées. Parmi les victimes se trouvait Toumi Djaidja, 20 ans, qui animait depuis quelques mois l’association SOS Avenir Minguettes. Le 17 juin, un policier lui tira dessus alors qu’il tentait d’intervenir pour aider des jeunes pris à partie par la police.

L’association des Minguettes était née quelques mois plus tôt, en mars, après une série d’émeutes dans ce quartier à majorité HLM de la banlieue lyonnaise, suite à l’un de ces affrontements entre les jeunes et la police. Ils ne trouvèrent pas de soutien auprès de la Fédération du Parti communiste du Rhône qui, après une petite phrase sur « l’égalité des droits entre travailleurs français et immigrés », ajoutait : « Aujourd’hui, avec deux millions de chômeurs dans notre pays, il faut mettre un terme à l’immigration officielle et clandestine, dans l’intérêt de tous. » Le Parti communiste, dont les « camarades ministres » avaient accepté sans broncher les plans d’austérité et de licenciements, n’hésitait pas à joindre sa voix à la campagne qui faisait des travailleurs immigrés les responsables du chômage.

C’est à la Cimade, association chrétienne d’aide aux immigrés et aux réfugiés, que les jeunes des Minguettes trouvèrent des militants pour les aider à organiser une marche, dans l’esprit des actions non violentes d’un Gandhi en Inde ou d’un Martin Luther King aux États-Unis. Les marcheurs traversèrent la France, accueillis par le milieu associatif religieux de gauche et par des militants syndicaux et politiques locaux. À chaque étape, ils organisaient des débats avec la population et se retrouvaient parfois en butte au racisme, mais aussi souvent à la fraternité par-delà les préjugés.

Un nouveau meurtre raciste particulièrement révoltant fut commis dans la nuit du 14 novembre. Un jeune touriste algérien, Habib Grimzi, fut roué de coups puis défenestré du train Bordeaux-Vintimille par trois jeunes en route pour s’engager dans la Légion étrangère. Ce crime aussi gratuit qu’abject souleva une grande émotion qui se traduisit par la mobilisation de dizaines de milliers de manifestants à l’arrivée des Marcheurs à Paris.

Promesses non tenues de Mitterrand

Le gouvernement socialiste, après les plans d’austérité qui faisaient les poches aux classes populaires et sa validation des plans de licenciements massifs du grand patronat, avait besoin de redorer un peu son image « de gauche ». Mitterrand reçut donc une délégation et quelques jeunes maghrébins foulèrent les tapis de l’Élysée sous l’œil des caméras. Pour l’occasion, il sortit des oubliettes sa promesse de campagne d’accorder le droit de vote aux élections locales aux immigrés, promit des mesures contre les crimes racistes, ainsi qu’une carte de séjour de dix ans renouvelable automatiquement. Ce fut la seule mesure réalisée, les autres retournèrent au placard.

La désillusion devant la politique antiouvrière du gouvernement de gauche favorisait la montée de l’extrême droite, comme l’avait montré la première percée électorale du Front national de Jean-Marie Le Pen lors des élections municipales de mars 1983. Les dirigeants socialistes eurent le culot de justifier l’abandon du projet de droit de vote aux immigrés en prétendant que cela aurait été un encouragement à cette montée dont ils étaient les premiers responsables !

Quarante ans plus tard, qu’il s’agisse de l’emploi, des relations avec la police, du logement, rien n’a changé dans les quartiers populaires, si ce n’est en pire. Un ancien marcheur interrogé lors des récentes commémorations faisait remarquer : « Nos quartiers se sont appauvris et tous les politiciens entonnent les mêmes refrains où insécurité rime avec immigration. » Le poids de l’extrême droite dans le débat récent en témoigne.

La société capitaliste qui s’enfonce dans la crise, l’absence de perspectives politiques venant de la classe ouvrière délitent encore plus le monde du travail et les quartiers ouvriers. Cela laisse la place aux préjugés de toutes sortes et à un racisme qui continue à tuer. Le combat contre ce fléau fait pleinement partie du combat des travailleurs conscients : les divisions entre exploités permettent au capitalisme de maintenir et de nourrir l’oppression de tous.

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