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Dans le monde
Chili : explosion de colère
Une augmentation du prix du ticket de métro de Santiago a provoqué une révolte populaire dans tout le pays. Le président Sebastian Piñera a reculé. Il a annoncé, le 23 octobre, des mesures en faveur des plus pauvres, dont l’augmentation de 20 % du minimum retraite et le gel des tarifs de l’électricité.
Quand, pour la seconde fois cette année, Piñera a annoncé une augmentation du prix du ticket de métro de 800 à 830 pesos, la jeunesse des lycées et des facultés de Santiago s’est mobilisée. Le 7 octobre, elle a envahi les stations de métro, sautant par-dessus les tourniquets et bloquant la circulation des trains.
Or, dans cette capitale complètement saturée, le métro est utilisé chaque jour par trois millions d’usagers. Le coût du transport peut représenter 20 % du salaire ouvrier et près de 40 % de la pension de bien des retraités. Aussi la mobilisation des jeunes a tout de suite été populaire.
Et quand le gouvernement a envoyé la police dans le métro contre les jeunes, la colère a explosé. Le 18 octobre, une quarantaine de stations de métro ont été incendiées, ce qui a entraîné la fermeture de tout le réseau et un chaos général dans la capitale. Le soir même, le président Piñera instaurait l’état d’urgence, en application d’une loi sécuritaire datant de la dictature militaire de Pinochet (1973-1990). Le général Javier Iturriaga del Campo a déployé dix mille soldats dans la capitale.
Piñera pensait que les dégradations retourneraient l’opinion et que l’envoi de l’armée démobiliserait les manifestants. Il a obtenu le résultat inverse. Le déploiement des soldats dans les rues a réveillé le cauchemar de la dictature militaire. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Santiago, faisant retentir des cacerolazos, des concerts de casseroles, aux cris de « Dehors, les militaires ! »
Des manifestants brandissaient des photos de disparus de la dictature et saluaient le courage des jeunes qui avait effacé leurs propres peurs.
Les affrontements se sont multipliés, d’autres stations ont été incendiées, des bus brûlés, des entreprises privées envahies, comme l’immeuble de la société d’électricité Enel, succursale de Banco Chile, des supermarchés pillés, notamment ceux de l’enseigne nord-américaine Walmart.
La contestation s’est étendue aux communes autour de la capitale, puis à tout le pays.
Le samedi 19 octobre, Piñera, contraint de reculer, a annoncé l’annulation de la hausse du ticket de métro.
En même temps, le général Iturriaga annonçait un couvre-feu à partir de 22 heures.
Mais cette nouvelle provocation a rempli à nouveau les rues de manifestants : à Santiago, à Valparaiso, à Concepción, à Antofagasta et dans bien d’autres villes, où les incendies de bâtiments publics se sont multipliés.
Le couvre-feu a été étendu à de nombreuses villes, sans faire baisser la mobilisation.
Le 20 octobre, Piñera déclarait à la télé : « Nous sommes en guerre, contre un ennemi puissant, implacable, qui ne respecte rien ni personne. » Sept manifestants étaient morts et 1 500 arrêtés mais, pour le président, les manifestants étaient de « véritables criminels ».
Le 21, la Confédération étudiante, le syndicat des mineurs de la plus grande mine de cuivre du pays, La Escondida, et le syndicat des dockers de Valparaiso appelaient à la grève générale. Du coup, la Centrale unitaire des travailleurs, la CUT, et diverses fédérations syndicales se sont réveillées. Muettes jusqu’alors, elles ont dénoncé l’état d’urgence et appelé à la grève pour le 23.
Il y a quelques semaines, le président Piñera avait vanté le Chili comme une oasis dans une Amérique latine en ébullition.
Son intransigeance a fait exploser toutes les colères. Un « papillon », un tract de la taille d’une paume de main, qui circule ces jours-ci, titré : «Ce n’est pas seulement le métro mais la dignité de toute une société», dénonce tout ce qui ne passe plus dans un Chili très inégalitaire : « La santé, l’éducation, le logement, les prix de l’électricité et de l’essence, le salaire des parlementaires, les détournements d’argent des militaires et l’impunité du patronat. »
La privatisation générale de l’économie, démarrée sous Pinochet, y compris le système de santé, l’éducation et les retraites, avec pour conséquences des soins très peu remboursés, des études supérieures où on s’endette pour des dizaines d’années et des pensions de misère et un salaire minimum 32 fois inférieur à celui d’un parlementaire : c’est tout cela qui vient d’exploser.
Les piteuses excuses de Piñera, présentées le 23 octobre, ne suffiront sans doute pas à satisfaire la population.