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- Lutte ouvrière n°2528
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Portugal : Mario Soares, serviteur de la bourgeoisie
Dans tous les pays et tous les partis retentissent les louanges à l’ancien président et ancien Premier ministre portugais Mario Soares, mort le 7 janvier à l’âge de 92 ans.
En fait, Mario Soares n’a jamais été « la figure centrale de la lutte contre la dictature et de la révolution des Œillets » que certains célèbrent aujourd’hui. En revanche, il restera dans la mémoire des militants et des travailleurs portugais les plus conscients un de leurs ennemis les plus décidés, un des artisans de la reprise en main après la période d’agitation politique et sociale ouverte par la révolution des Œillets.
Opposant à la dictature policière et cléricale instaurée en 1932 par Salazar, Soares fut d’abord proche du Parti communiste, dont les militants étaient alors les seuls à lutter contre le régime parmi les ouvriers et les paysans, risquant leur vie et leur liberté. Il s’éloigna du PC dès 1951 pour rejoindre le courant social-démocrate représenté par la SFIO française et le Parti social-démocrate allemand. En 1964 il fonda l’Action socialiste portugaise, puis en 1973 le Parti socialiste portugais. Avocat, défenseur des opposants au régime, il fut arrêté de nombreuses fois, fit trois ans de prison, fut banni dans une île du golfe de Guinée puis exilé en France en 1970.
Au lendemain du putsch victorieux du 25 avril 1974, qui mit fin au régime salazariste, Soares fut ministre des Affaires étrangères. Il négocia l’indépendance des colonies africaines, Guinée Bissau, Angola et Mozambique, dont les luttes d’indépendance avaient contribué à la révolte des officiers de l’armée portugaise. Mais son principal souci fut d’éviter que la classe ouvrière, mise en mouvement par la chute de la dictature, ne prenne de plus en plus conscience de ses intérêts propres et risque ainsi de mettre en danger la domination de la bourgeoisie.
Pour faire retomber la mobilisation populaire et moderniser le pays, deux options s’offraient : un pouvoir militaire appuyé sur les officiers du Mouvement des forces armées (MFA), auquel le PC se rallia ; ou bien un régime parlementaire, que choisit le PS de Soares. Appuyé par les bourgeois portugais qui n’avaient pas fui, par l’Église catholique, les démocraties occidentales et les services secrets américains, Soares misa tout sur les élections, présentées comme le summum de la démocratie, dénonçant le PC comme partisan d’une dictature et ennemi de la propriété privée.
Les élections d’avril 1975 à l’Assemblée constituante mirent le PS au premier rang, avec 38 % des suffrages. Soares passa alors à l’offensive contre les militaires radicaux, organisa dans le MFA un courant de droite et prépara la mise au pas des unités politisées, le 25 novembre 1975. Le 25 avril 1976, second anniversaire des Œillets, le PS remporta les élections législatives et Soares dirigea le premier gouvernement constitutionnel du Portugal moderne. Au cours des années suivantes, les conquêtes d’Avril en matière de réforme agraire et de législation sociale, les unes après les autres furent remises en cause sous des gouvernements de gauche comme de droite.
Quant à Soares, il fut pendant trente ans une des principales figures de la politique portugaise, responsable de l’adhésion du Portugal à la Communauté européenne en 1986, président de la République de 1986 à 1996, candidat malheureux à la présidence en 2006. C’était aussi une figure internationale, participant à d’innombrables comités, commissions et fondations de toute sorte, lauréat de multiples prix, docteur honoris causa de quarante universités.
Soares s’était permis, ces dernières années, de critiquer la Troïka qui surveille les finances du Portugal, d’attaquer le néolibéralisme et de laisser entendre qu’une autre politique était possible. On peut bien se permettre une coquetterie, après une si longue carrière au service de la bourgeoisie et de ses politiques antiouvrières.