Loi du marché : loi du plus fort31/01/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/02/2896.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Loi du marché : loi du plus fort

Le principal grief des agriculteurs est la faiblesse de leurs prix de vente alors que les coûts leur apparaissent incompressibles.

Depuis les profondes transformations des années 1960, la généralisation de la mécanisation, le remembrement, la spécialisation régionale des cultures, l’agriculture française est totalement intégrée dans le marché capitaliste, jusqu’à la plus petite exploitation. Or celui-ci est une jungle dans laquelle les plus forts imposent leur loi.

En amont, la fourniture des semences, des engrais et des pesticides est dominée par des groupes industriels comme Bayer, Cargill et quelques autres. Des constructeurs, John Deere, Fendt ou Massey-Fergusson, vendent des tracteurs et des engins de plus en plus perfectionnés et coûteux. En aval, l’achat et la transformation des productions agricoles sont dominés par des industriels, Lactalis, Tereos, Danone ou Nestlé, ou des coopératives qui obéissent aux mêmes objectifs de rentabilité : la Sodiaal, qui commercialise les marques Yoplait et Entremont, ou la Cooperl dans la viande. Les produits finis sont commercialisés dans les rayons des géants de la distribution, Auchan, Carrefour, Leclerc et les autres, dont les centrales d’achat sont en position de force face aux agriculteurs. À chaque étape de cette chaîne, les banques – et d’abord le Crédit agricole, deuxième banque du pays – prélèvent leur dîme.

Les petits et moyens agriculteurs, ceux qui ne sont pas eux-mêmes des capitalistes de taille respectable, sont pris en étau entre ces mastodontes qui imposent leurs prix. Il n’y a pas d’échappatoire, sauf à maîtriser entièrement la chaîne « du producteur au consommateur », ce que tentent certains agriculteurs, seuls ou groupés, et ce que prônent divers courants écologistes ou syndicats comme la Confédération paysanne. Néanmoins, cela ne peut que rester marginal dans une société massivement urbanisée et surtout dominée par l’économie capitaliste. S’il en faut un exemple, au fil des décennies, les coopératives agricoles montées par des agriculteurs pour contourner la domination des trusts de l’agroalimentaire sont devenues elles-mêmes des requins. Ainsi la Cooperl exploite 7 000 salariés dans ses abattoirs.

Depuis les années 1960, l’État n’a cessé d’intervenir sous prétexte de réguler cette jungle. Cette intervention s’est faite dans le cadre de la politique agricole commune de l’Union européenne, la PAC, qui a pris des formes variées au fil du temps : prix minimum garanti, constitution de stocks européens, quotas de production, politique de la jachère… Cette politique consiste en tout et pour tout à verser des subventions aux agriculteurs. Mais, quelles que soient la forme et la période, la grande masse des subventions est allée engraisser les plus gros pendant que les petits crevaient. Décennie après décennie, la concentration et la réduction du nombre d’exploitations s’est poursuivie. Et cela continue.

La loi Egalim mise en place par Macron en 2018, revue en 2021, est supposée garantir un contrat écrit et stable entre la grande distribution et les producteurs. Mais Egalim ou pas, les prix sont toujours fixés entre producteurs, agro-industrie et grande distribution sur la base d’un rapport de force. Et dans ce bras de fer, les petits producteurs comme les consommateurs sont les perdants, Danone et Leclerc les gagnants. Il n’y aura pas d’issue pour les agriculteurs, comme pour les travailleurs, sans s’en prendre à cette dictature du capital.

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