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- Lutte ouvrière n°2877
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il y a 110 ans
Irlande : 1913, la grève des travailleurs de Dublin
À Dublin, le 26 août 1913, « les trams s’arrêtèrent subitement. Conducteurs et receveurs les abandonnèrent sur place, là où ils se trouvaient, à l’heure fixée pour le début de la grève », relate l’écrivain Sean O’Casey. Cette grève s’étendit courant septembre à l’ensemble des branches industrielles, en réponse à un patronat de combat. Et jusqu’à fin janvier, « ils firent grève avec courage, marchant résolument au-devant de la faim, de la souffrance et de l’hostilité, pour simplement répondre à l’espoir qui brûlait en eux ».
En 1913, l’Irlande était toujours sous domination britannique. L’année précédente, les nationalistes avaient obtenu par le Home Rule la promesse d’un Parlement irlandais, mais l’appareil d’État restait anglais, du gouverneur à la police, à l’armée et à la justice. La plupart des grandes entreprises étaient cependant passées dans les mains de capitalistes irlandais. Tout en affichant leur nationalisme, les industriels n’avaient aucun scrupule à faire appel aux forces de répression britanniques dès que les travailleurs relevaient la tête.
Parallèlement, la classe ouvrière s’était développée et n’acceptait plus de subir passivement la misère et l’exploitation féroce.
Misère ouvrière
Les ouvriers vivaient dans des conditions sordides. Ils logeaient dans des immeubles de rapport, véritables taudis sans hygiène où s’entassaient souvent plusieurs familles. La tuberculose y faisait des ravages et le taux de mortalité infantile était le plus élevé des capitales industrielles. La sous-alimentation était leur lot quotidien.
Les emplois, horaires et salaires de la plupart des travailleurs n’étaient pas fixes. Étant majoritairement non qualifiés, ils étaient en compétition pour se faire embaucher, acceptant de ce fait des salaires de misère. À cela s’ajoutaient les retenues sous n’importe quel prétexte.
Les ouvriers irlandais étaient peu organisés. Il y avait certes des luttes partielles ou individuelles, mais les syndicats de métier, très conservateurs, tournaient le dos aux travailleurs non qualifiés. Mais, en même temps que « le prolétariat s’éveillait à la conscience de classe », pour citer Lénine, « il avait trouvé un chef de talent en la personne du camarade Larkin, secrétaire du syndicat des travailleurs des transports ».
« Big Jim » Larkin
Docker à Liverpool, Jim Larkin avait été envoyé par le syndicat britannique National Union of Dock Labourers (NUDL) à Belfast en janvier 1907 pour y créer une section. Il réussit à syndiquer la majorité des dockers et, face aux employeurs qui refusaient une hausse des salaires, mit en grève des travailleurs de plusieurs catégories.
Dans les villes industrielles où il intervint ensuite, Cork, Limerick, Waterford, etc., et enfin Dublin, chaque meeting rassemblait une masse croissante de travailleurs, qui adhéraient à la création d’un syndicat unique regroupant les ouvriers qualifiés et non qualifiés.
Après une grève des dockers en 1908 à Cork, il fut exclu de la direction de la NUDL et créa ensuite son propre syndicat, l’ITGWU (Irish Transport and General Workers Union), que rejoignit le socialiste révolutionnaire James Connolly : « Une seule pièce : deux chaises, une table, deux bouteilles vides et une chandelle », tel fut le début d’un outil de combat qu’allaient rejoindre des milliers de travailleurs enthousiastes.
Le bras de fer entre patrons et ouvriers
Pour les patrons, il n’était pas question que les ouvriers puissent rejoindre l’ITGWU. Le principal capitaliste d’Irlande, William Martin Murphy, propriétaire des tramways de Dublin, d’immenses entrepôts, de trois quotidiens, d’un hôtel de luxe, etc., parvint à convaincre 400 d’entre eux de ne pas embaucher les adhérents du syndicat. Ceux-ci étaient renvoyés et inscrits sur une liste noire s’ils refusaient de signer l’engagement de le quitter. Fin septembre, 20 000 travailleurs dublinois avaient ainsi perdu leur emploi.
La réponse à cette provocation fut la grève qui se généralisa.
Le dimanche 31 août, la police chargea la foule venue écouter Larkin, tuant trois personnes et en blessant 300. Ce fut le premier des « Bloody Sundays » – les dimanches sanglants – que connut l’Irlande. Dans un contexte de quasi-guerre civile, pour faire face à la violence des milices nationalistes au sud et unionistes au nord, Connolly créa alors l’Irish Citizen Army, l’Armée citoyenne d’Irlande, dans laquelle Lénine vit la première armée communiste d’Europe.
Les employeurs tablaient sur la misère extrême des grévistes pour les faire céder. C’était sans compter avec leur détermination, renforcée par l’activité militante de Larkin. Ils firent appel à la solidarité des travailleurs irlandais et britanniques, d’abord pour fournir une aide alimentaire aux grévistes au bord de la famine, mais aussi en les appelant à des grèves de solidarité. Le Trade Union Congress (TUC), fédération réformiste implantée parmi les travailleurs qualifiés britanniques, envoya bien de l’argent, mais il laissa tomber les grévistes en refusant d’appeler à élargir leur mouvement.
Le projet d’envoyer les enfants dans des familles anglaises prêtes à les accueillir fut, lui, stoppé par l’Église catholique, rangée sans équivoque dans le camp patronal.
La grève prit fin en janvier 1914, les travailleurs dublinois étant restés isolés sans le soutien du TUC. Mais ce ne fut pas une défaite, loin de là. Lénine conclut ainsi un article qu’il leur consacra : « Murphy menaçait d’anéantir les syndicats irlandais. Il n’a anéanti que les derniers vestiges de l’influence de la bourgeoisie irlandaise nationaliste sur le prolétariat de l’Irlande. »