Turquie : Corruption, pots-de-vin, crise... Les scandales ébranlent Erdogan01/01/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/01/une2370.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Corruption, pots-de-vin, crise... Les scandales ébranlent Erdogan

Les jours sont comptés pour le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdoğan. Déjà mis en difficulté au printemps par les manifestations de la place Taksim d'Istanbul, il l'est maintenant du fait des affaires de corruption qui éclaboussent le régime. Il s'y ajoute le désaveu ouvert des dirigeants américains, qui lui cherchent désormais un remplaçant, si possible un peu plus fiable.

Erdoğan et son parti l'AKP sont au gouvernement depuis onze ans. Ils ont remporté haut la main plusieurs élections successives en se vantant d'apporter à la Turquie l'essor économique, la démocratie, la fin de la corruption et la stabilité politique. Erdoğan a même parlé de « nouvel ottomanisme » : à l'en croire, grâce à son économie florissante et à son expansion sur les marchés du Moyen-Orient, la Turquie allait apporter la prospérité aux régions de l'ancien Empire ottoman. Erdoğan voulait, affirmait-il, avoir « zéro problème avec les pays voisins ». Ceux-ci ne devaient être conquis que par la diplomatie pacifique de la Turquie et ses attraits commerciaux.

La réalité s'est chargée de démentir ce conte de fées. La répression contre les manifestants de Taksim, en juin, a rappelé que la Turquie n'avait jamais cessé d'être un État policier. Ce parti AKP qui devait tout changer se montre, comme tous les partis bourgeois, gangrené par la corruption et les luttes de clans. Les derniers cas touchent de près le Premier ministre, révélant des combines qui ont servi à enrichir ses proches. Le ministre de l'Urbanisme a dû démissionner, impliqué dans des scandales immobiliers liés à des projets qui avaient tous eu l'aval d'Erdoğan. Le total des pots-de-vin et détournements de fonds atteindrait 70 milliards de dollars. Des dizaines d'arrestations ont eu lieu, et le propre fils d'Erdoğan serait impliqué.

Un autre scandale concerne des transactions secrètes avec l'Iran, malgré l'embargo frappant ce pays et auquel la Turquie adhérait officiellement. Le pétrole et surtout le gaz iraniens vendus à la Turquie étaient payés discrètement à Téhéran par l'intermédiaire d'un homme d'affaires azerbaïdjanais, avec de l'or provenant de la banque centrale d'Ankara. Erdoğan ne pouvait l'ignorer, tout comme il ne pouvait ignorer l'existence de divers circuits occultes permettant de financer des organisations islamistes intégristes en Égypte et dans tout le Moyen-Orient.

Mais surtout, l'implication de la Turquie dans la guerre civile syrienne a montré ce que cachait son prétendu pacifisme. La Turquie a financé, armé, entraîné et acheminé vers la Syrie les miliciens intégristes qui ont combattu le régime d'Assad et fini par ne laisser au peuple syrien que le choix entre ces deux dictatures.

Sans doute Erdoğan avait-il pour cela le consensus des États-Unis mais, manque de chance, ceux-ci changent aujourd'hui de politique. Placé devant le choix d'accepter l'installation d'un régime de talibans à Damas ou bien de trouver un accord avec Assad et ses protecteurs russes et iraniens, Obama a choisi la deuxième solution, et il veut maintenant obtenir de la Turquie, mais aussi de l'Arabie saoudite, du Qatar et de quelques autres, qu'ils coupent les vivres et les armes aux djihadistes syriens. C'est un virage qu'Erdoğan a du mal à prendre.

Or le désaveu des États-Unis s'ajoute à celui de toute une partie de la bourgeoisie turque, car la politique d'Erdoğan en Syrie, en faisant disparaître un marché prometteur, lui a causé d'énormes pertes. Et puis la fameuse réussite économique turque a maintenant du plomb dans l'aile.

La série des scandales ne tombe donc pas par hasard. En fait, une véritable guerre a lieu au sein de l'appareil judiciaire, de la police et de l'armée. Un imam réfugié aux États-Unis et bénéficiant du soutien d'Obama, Fethullah Gülen, a aussi des liens très solides dans l'appareil judiciaire turc, le même qui a diligenté les enquêtes et fait éclater les scandales. Erdoğan déclare qu'il y a là un « complot international » contre lui, désignant même l'ambassadeur des États-Unis en menaçant de l'expulser. Mais le fait est qu'il est de plus en plus isolé et que les dirigeants américains eux-mêmes voudraient le pousser dehors et lui cherchent une solution de remplacement.

Cette solution sera peut-être trouvée du côté du parti social-démocrate, le CHP, qui se sent maintenant le vent en poupe. Mais de leur côté, les travailleurs et les couches populaires font les frais de la situation économique qui se dégrade et de l'inflation qui repart à la hausse suite à la chute de la monnaie. Une partie de ceux qui ont manifesté en juin place Taksim ont recommencé à le faire, criant « gouvernement démission ! » et se heurtant à la police. Mais la fin du gouvernement Erdoğan n'apportera quelque chose aux travailleurs que s'ils s'organisent sur leur propre terrain pour imposer leurs revendications essentielles.

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