Union européenne : Une "crise" qui est aussi celle d'un capitalisme sénile18/06/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/06/une2081.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Union européenne : Une "crise" qui est aussi celle d'un capitalisme sénile

Le non des électeurs irlandais au traité de Lisbonne a relancé les commentaires sur la crise de l'Union européenne, comme on en avait entendu, en 2005, après le double non des électeurs français et hollandais au traité constitutionnel. Une fois de plus, les dirigeants européens cherchent à sauver la face, tout en poursuivant la mise en place des institutions qu'ils estiment nécessaires au fonctionnement de l'Union européenne qu'ils veulent construire. Car, pour ceux-ci, l'opinion des électeurs européens n'a pas grande importance. On l'a vu ici quand quelques centaines de députés ont imposé par leur vote le traité de Lisbonne, copie à peine allégée (300 pages de textes et 3 000 pages d'annexes !) du traité constitutionnel rejeté par des dizaines de millions d'électeurs.

Même si aujourd'hui l'Union européenne permet la libre circulation de près de 500 millions d'Européens, un progrès indéniable, la construction européenne a d'abord été et reste une construction économique, qui entend d'abord offrir aux grands groupes capitalistes européens un marché de taille moins rachitique que le seul marché national.

Elle a démarré avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier, mise en oeuvre pour relancer des économies rendues exsangues par la Seconde Guerre mondiale. Elle s'est poursuivie en 1957 par la création du Marché commun regroupant l'Allemagne, la France, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Les bourgeoisies de ces États avaient compris que, pour relancer l'économie, il fallait un abaissement des barrières douanières pour permettre aux marchandises de circuler plus vite et faire prospérer les économies des États-membres.

Mais, dès le départ, cette construction fut aussi jalonnée de conflits opposant les intérêts divergents des États-membres. Ainsi, c'est parce que l'Allemagne y devenait trop puissante que les représentants de la France, jusqu'alors hostiles à l'entrée de la Grande-Bretagne, en devinrent des partisans en 1973, pour faire contrepoids à l'Allemagne.

Mais, de 1957 à 1995, le Marché commun, devenu Union européenne en 1992, passé par paliers successifs de six à quinze pays, n'avait pas modifié l'équilibre de pays voisins sur le plan économique et social. En revanche, l'élargissement à 25 en 2004, puis à 27 en 2007, en faisant entrer dans l'Union notamment des pays de l'Europe de l'Est, moins développés, a amené les pays les plus riches à remettre en cause son mode de fonctionnement.

Jusqu'alors, les principales puissances européennes avaient imposé un mode de fonctionnement à l'unanimité. La chose était évidemment plus difficile à 25 ou 27 qu'à six. D'autant que les pays les plus riches risquaient de voir des décisions qu'ils estimaient nécessaires bloquées par une coalition de pays plus pauvres, aux intérêts divergents. Le traité constitutionnel de 2005 comme sa version prétendument " allégée " décidée à Lisbonne gardent en commun un mode de fonctionnement, à la majorité qualifiée, qui doit permettre aux grands pays européens de continuer à tirer les ficelles de l'Union, sans que leurs décisions les plus importantes puissent être contrecarrées par des États moins puissants.

Evidemment, le vote irlandais n'arrange pas Sarkozy, qui avait pris la pose du " sauveur " de l'Europe en tirant à lui la couverture du traité de Lisbonne, concocté avec les autres dirigeants européens, et qui espérait de surcroît tirer un bénéfice politique de sa posture de président de l'Union des six prochains mois. Mais au-delà du non irlandais, la crise de l'Union européenne a des racines plus profondes. Dans la crise actuelle du monde capitaliste, les intérêts nationaux des grandes puissances de l'Union européenne ont plus que jamais tendance à l'emporter sur les intérêts communs.

On a pu le voir dans la question du budget de fonctionnement de l'Union, où les pays les plus riches ont refusé d'augmenter les crédits pour des dépenses d'infrastructure en direction des nouveaux entrants, notamment à l'est de l'Europe, bien que ces infrastructures auraient au bout du compte profité surtout aux grands trusts des pays les plus riches, en leur permettant d'amener leurs marchandises au fin fond de l'Europe. Mais les États européens ont préféré utiliser leur argent pour subventionner directement leurs propres trusts.

De même, l'Union est au bord d'une révision de la politique agricole commune. Celle-ci serait certainement utile aux agricultures des nouveaux pays entrants, mais les principaux bénéficiaires de la PAC d'hier sont devenus des grands trusts agro-alimentaires qui se déploient désormais sur le marché mondial. Il restera à Sarkozy à faire avaler cette révision à son électorat paysan.

Malgré l'élargissement de l'Union européenne, en plus d'un demi-siècle les États européens n'ont pas réussi à unifier leur continent et restent tributaires d'une division politique archaïque entre des dizaines d'États.

Une division dont les capitalistes tirent profit en ce qui concerne les droits sociaux, en jouant sur les différences de salaire allant de un à dix entre l'ouest et l'est de l'Europe, qui leur permettent de tirer les salaires vers le bas.

Même si, par un nouveau tour de passe-passe, les dirigeants européens parviennent à faire ratifier le traité de Lisbonne par l'Irlande, ce n'est pas demain la veille qu'ils unifieront vraiment l'Europe.

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