Chili : le coup d’État de Pinochet et ses leçons13/09/20232023Journal/medias/journalnumero/images/2023/09/2876.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

Chili : le coup d’État de Pinochet et ses leçons

Le 11 septembre 1973, au Chili, l’armée commandée par le général Pinochet renversait le gouvernement du socialiste Salvador Allende. Les blindés et l’aviation dévastèrent la capitale, Santiago, et bombardèrent le palais présidentiel.

Une répression féroce, rapide et systématique, commença contre la classe ouvrière et la paysannerie, qui faisaient preuve depuis des mois de combativité. La chasse aux militants ouvriers et de gauche fut ouverte par des arrestations en grand nombre accompagnées de tortures et d’exécutions. Le commandant d’un des stades de Santiago, le stade Chile qui allait regrouper des milliers de prisonniers, s’adressa à eux dans ces termes : « Vous êtes des prisonniers de guerre. Vous n’êtes pas des Chiliens, mais des marxistes, des étrangers. Aussi sommes-nous décidés à vous tuer jusqu’au dernier. »

Les militaires investirent les poblaciones, les bidonvilles de la capitale, arrêtant des milliers d’ouvriers. L’armée tira sur des paysans du haut de ses hélicoptères. L’aviation bombarda au napalm des villages entiers. Plus de 3 000 personnes furent abattues ou déclarées disparues ; 38 000 furent torturées. Des cadavres flottèrent longtemps sur le rio Mapocho qui traverse Santiago.

Le premier décret de la junte militaire fut l’interdiction de tous les partis politiques de gauche et la dissolution des syndicats ouvriers. Mais son intervention alla bien au-delà, aboutissant à assassiner toute une génération de militants et frappant de terreur toute la population pauvre.

L'arrivée au pouvoir d'Allende

Depuis la fin des années soixante, ce pays, dont l’essentiel des richesses était accaparé par des multinationales étrangères, essentiellement américaines, était en ébullition. Les mouvements de grève se multipliaient, en particulier dans les mines de cuivre, propriété des sociétés américaines Kennecott et Anaconda. L’agitation touchait aussi les bidonvilles. À Santiago, des sans-logis occupaient des terrains promis à la spéculation immobilière. En 1970, les occupations de grandes propriétés par les paysans se comptaient par centaines. Un travailleur sur trois était syndiqué. Les syndicats paysans, légalisés en 1967, regroupaient des dizaines de milliers de membres. C’est dans ce contexte que les élections présidentielles de septembre 1970 donnèrent la victoire à Salvador Allende, un dirigeant socialiste, vieux routier du Parlement.

Allende était le candidat de l’Unité populaire, une alliance formée un an auparavant qui regroupait le Parti socialiste, le Parti communiste, parti le plus implanté dans la classe ouvrière, le Mapu (Mouvement d’action populaire unitaire), une scission de gauche du parti démocrate-chrétien, et le Parti radical. Cette élection souleva l’enthousiasme de la population. Allende salua « un nouveau tournant de l’histoire », la « marche vers le socialisme » par la voie démocratique. Des dirigeants syndicaux appartenant au PC ou au PS entrèrent au gouvernement.

Dans les mois qui suivirent, des mesures sociales furent effectivement prises : les salaires les plus bas augmentèrent, le droit à la retraite fut étendu, les pensions minimales relevées, l’accès aux soins amélioré. Des logements furent construits et les loyers furent limités. Mais Allende était soucieux de respecter la légalité bourgeoise et de ne pas brusquer le patronat. Les nationalisations de secteurs de la production devaient s’accompagner de l’indemnisation des propriétaires, à l’exception des richissimes compagnies américaines du secteur du cuivre.

Cependant, face à la résistance des possédants, les travailleurs se mobilisèrent : grèves, occupations de terrains pour installer des sans-logis, organisation des petits paysans et des ouvriers agricoles pour accélérer une réforme agraire considérée comme trop timorée.

Allende tenta de calmer l’élan que son élection avait encouragé. Mais cette montée de la combativité des classes populaires inquiétait la bourgeoisie chilienne. Loin de faire confiance au gouvernement pour y mettre un terme, elle commença à mener des campagnes pour déstabiliser le pouvoir.

L'offensive de la réaction soutenue par les Etats-Unis

En octobre 1972, la réaction passa à l’attaque, organisant des manifestations massives, pendant que les groupes d’extrême droite multipliaient les actions terroristes. Le patronat se lança dans l’épreuve de force, avec l’appui en sous-main du président Richard Nixon et de la CIA, organisant une grève des transports routiers. Les camionneurs chiliens, pour la plupart des petits entrepreneurs, entraînèrent dans leur sillage une partie de la petite bourgeoisie hostile au gouvernement et réussirent à asphyxier le pays.

Les travailleurs réagirent, empêchant la paralysie complète du ravitaillement. Ils continuaient à faire confiance à Allende, alors que celui-ci ne cessait de faire des concessions à l’opposition. Allende accepta ainsi l’entrée au gouvernement de trois généraux. L’armée était ainsi cautionnée par le pouvoir et par les dirigeants des organisations ouvrières. Deux dirigeants du Parti communiste côtoyaient leurs futurs bourreaux dans ce gouvernement.

Le 29 juin 1973, une première tentative de coup d’État échoua. Les travailleurs réagirent immédiatement, occupant les usines et constituant des brigades de surveillance. Mais, face à la menace qui demeurait, Allende continua à couvrir l’armée et à promettre qu’elle resterait loyale. Les dirigeants des partis de gauche canalisèrent la mobilisation populaire afin qu’elle reste dans la limite du soutien au gouvernement. Lorsque le 11 septembre les chars sortirent de nouveau dans les rues, les travailleurs se retrouvèrent ainsi sans plan, sans direction et sans armes.

Salvador Allende lui-même mourut lors de l’attaque du palais présidentiel par l’armée. Le coup d’État signait l’échec d’une politique qui avait cru pouvoir faire accepter quelques réformes à la bourgeoisie, en lui garantissant que les revendications populaires seraient contenues et au besoin réprimées. La bourgeoisie chilienne et ses protecteurs impérialistes, eux, préféraient se fier à la manière forte et à la répression sanglante de l’armée. Le gouvernement d’Unité populaire, qui s’était bien gardé de s’attaquer à celle-ci et l’avait même cautionnée, avait désarmé d’avance les travailleurs et le peuple qui lui avaient fait confiance, et les avait livrés à leurs égorgeurs.

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