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Congrès de la CGT : lutte de clans au sommet

Du 27 au 31 mars, la CGT a réuni pour son congrès confédéral à Clermont-Ferrand, 942 délégués représentant ses 600 000 syndiqués. Le congrès a été le lieu d’une vive lutte de pouvoir, exprimant chez les militants de multiples divergences.

La CGT est confrontée depuis des années à l’érosion du nombre de ses adhérents. Sans remonter aux 4 millions de syndiqués au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est passé entre 2012 et aujourd’hui de près de 700 000 à 600 000. Si la CGT reste le syndicat qui compte dans les mobilisations, dans les grèves et les manifestations, elle est maintenant dépassée dans bien des secteurs, en termes d’audience électorale et de représentativité, notamment par la CFDT.

Pour tenter de regagner des positions sur ce terrain, la direction de la CGT cherche depuis plusieurs années à s’adapter, en présentant un visage qu’elle pense plus moderne, en mettant en avant des préoccupations écologistes, féministes, en se tournant résolument vers l’électorat des cadres attirés aujourd’hui par la CFDT, et en mettant au second plan ses traditions ouvrières. C’est cette ligne que promouvait le secrétaire général sortant, Philippe Martinez, et la candidate qu’il avait pressentie à sa succession, Marie Buisson.

Face à cette orientation, ceux qui sont devenus au fil des ans les opposants traditionnels à la ligne confédérale, organisés autour des fédérations du commerce et de la chimie, se sont regroupés derrière Olivier Mateu, secrétaire de l’union départementale des Bouches-du-Rhône. Faisant référence aux mouvements en cours chez les cheminots ou dans les raffineries, ils ont voulu apparaître comme partisans d’une CGT plus combative, plus ouvrière, visiblement nostalgiques de l’époque où la CGT était plus homogène, parce que contrôlée de près par le PCF, sans avoir pour autant une politique meilleure.

Mais, sur le fond, ces dirigeants syndicaux sont les uns comme les autres tout autant respectueux de l’ordre établi. Outre son nationalisme affirmé, anti-­européen, Olivier Mateu défend l’idée que la CGT doit se battre pour que l’État adopte certaines politiques industrielles, tout comme le préconise Philippe Martinez. La différence entre eux ne réside que dans les objectifs de ces politiques industrielles, Marie Buisson mettant en avant la priorité écologique, tandis qu’Olivier Mateu défend au nom de l’emploi les filières industrielles traditionnelles, le nucléaire, les raffineries, voire les centrales à charbon. Ces directions syndicales concurrentes, bien intégrées dans le système, se posent en réalité comme des conseillers auprès de l’État et des capitalistes. Elles ont rompu, et depuis longtemps, avec la position de la CGT à sa naissance, qui consistait à avoir comme perspective le renversement du capitalisme.

Les votes dans les congrès de la CGT ne reflètent que très partiellement l’opinion des syndiqués. Ce sont en effet les directions des fédérations qui attribuent à chacun des délégués des mandats plus ou moins importants et certaines fédérations le font en fonction de la fidélité de ceux-ci à la ligne fédérale, faisant y compris pression pour qu’ils votent au congrès dans ce sens.

À Clermont-Ferrand, les incidents ont commencé dès le premier jour, quand neuf délégués de la fédération du commerce, ne reconnaissant pas ceux qui avaient le mandat officiel, ont cherché à entrer dans la salle et provoqué des heurts avec le service d’ordre. Le ­deuxième jour, le rapport d’activité de la direction sortante a été rejeté à 50,3 %, ce qui est une première dans l’histoire de la CGT et la marque d’un désaveu important. Parmi les reproches, figuraient l’attitude de la confédération vis-à-vis des gilets jaunes, des non-vaccinés, le vote pour Macron à la présidentielle, le fait que Martinez ait annoncé soutenir la demande de médiation de la CFDT sur le sujet des retraites. Les jours suivants, en arguant de l’unité nécessaire et du fait que le congrès était filmé, la direction a réussi à reprendre en main l’assemblée. Le document d’orientation, toiletté des désaccords les plus saillants, a été validé à plus de 72 % des mandats.

De nombreux militants ont été choqués par le fait que la direction sortante ne propose pas les figures des oppositionnels dans la direction collective, la commission exécutive centrale (CEC), composée de 66 membres, mais il ne s’est trouvé que 36 % des mandats pour tenter de les y imposer malgré tout. Certains délégués ne se sont résignés à soutenir la direction sortante que par souci d’unité, mais la candidate pressentie par ­Martinez, ­Marie Buisson, en campagne pour cela depuis des mois, n’a pas réussi à s’imposer non plus. Son nom a été rayé par 43 % des mandats, ce qui l’a sans doute privée de soutiens au sein de la CEC. Après une nuit blanche de tractations, après l’intervention d’un huissier commandé par les oppositionnels, les dirigeants de la CGT ont fini par nommer comme secrétaire générale Sophie ­Binet, une militante qui sous ­Hollande adhérait encore au PS, responsable de l’UGICT, le syndicat des cadres de la CGT, et qui a promis de reprendre à son compte l’orientation de Marie Buisson et de Philippe Martinez.

Comme son passé l’indique, ce n’est pas Sophie Binet qui rompra avec la tendance à l’intégration de la CGT dans l’appareil d’État. Elle a d’ailleurs reçu la reconnaissance du député Marc Ferracci, proche de Macron, affirmant que « sa désignation est d’abord une bonne nouvelle pour le dialogue social ».

Le congrès a laissé un goût amer à nombre de délégués, surpris par l’attitude de la direction sortante et les manœuvres des uns et des autres. Certains regrettent que la confédération donne priorité aux cadres au détriment des ouvriers et des employés. Mais, pour faire vivre un syndicalisme de combat, il faudra que ces militants le fassent eux-mêmes, par en bas, démocratiquement, malgré des directions bureaucratiques.

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