il y a 70 ans

5 mars 1953 : la mort de Staline, pas du stalinisme

Il y a 70 ans mourait Staline. De Hitler à Franco, de Horthy à Salazar, Mussolini et tant d’autres, le 20e siècle abonda en dictateurs écrasant les peuples. Il faut pourtant faire une place à part à Staline car il dirigea un régime se disant socialiste alors que sa dictature porta, plus qu’aucune autre, des coups terribles au mouvement ouvrier et à son avant-garde révolutionnaire, en URSS et partout dans le monde.

la mort de Staline,  pas du stalinisme

Sous Staline, ce fut « minuit dans le siècle » : la trahison des révolutions dans les autres pays, la liquidation du Parti bolchevique, la terreur à grande échelle comme moyen de gouverner. Comment cela a-t-il pu arriver quelques années à peine après la révolution d’Octobre qui, en instaurant la démocratie des soviets, voulait ouvrir la voie au socialisme mondial ?

Le « socialisme dans un seul pays » ?

Si le jeune État soviétique finit par triompher de quatre ans d’une guerre civile effroyable imposée par les Blancs et les armées impérialistes, le pays en sortit exsangue, son économie ravagée et sa population épuisée. Le reflux de la vague révolutionnaire en Europe laissait l’URSS isolée, handicapée par son immense arriération sociale héritée du tsarisme. Pire : alors que les ouvriers les plus conscients, survivants de la guerre civile, étaient absorbés par les besoins du nouveau pouvoir, la classe ouvrière, déjà très minoritaire avant-guerre, n’était plus en mesure de diriger son État.

Cela renforça une couche sociale spécialisée dans la gestion de l’État, une bureaucratie que la classe ouvrière n’avait plus la force de se soumettre. Lénine avait tenté d’enrayer ce phénomène qui prenait des proportions monstrueuses, mais la mort mit fin à ses efforts. Des dirigeants et militants bolcheviques, qui s’étaient regroupés autour de Trotsky fin 1923, allaient mener ce combat contre la dégénérescence de l’État ouvrier et du Parti communiste lui-même.

Dans la lutte que certains dirigeants avaient engagée pour succéder à Lénine, la fraction du Parti communiste que Staline représentait au sommet du pouvoir s’appuyait sur les bureaucrates contre les révolutionnaires. Et une foule de cadres petits et grands de l’appareil dirigeant finirent par se reconnaître dans la fraction stalinienne. Prônant le « socialisme dans un seul pays », une aberration pour tout marxiste, Staline levait un drapeau contre Trotsky, resté fidèle à la théorie de la révolution permanente, qui avait été au cœur de la politique de Lénine et des bolcheviks. Il indiquait aussi aux bureaucrates et à la bourgeoisie mondiale qu’avec lui c’en serait fini de la révolution dans tous les pays.

Sous Staline, les camps de concentration se remplirent de millions de travailleurs forcés : des opposants, réels ou prétendus tels, mais surtout un nombre effroyable d’ouvriers et de kolkhoziens condamnés pour des peccadilles, voire sans raison.

En même temps, le régime vantait sa Constitution de 1936 comme « la plus démocratique du monde ». Alors que la politique stalinienne avait permis à Hitler d’accéder au pouvoir en ­Allemagne et qu’ensuite elle avait étranglé la révolution en Espagne, la propagande chantait Staline comme « le défenseur des travailleurs », « l’ami des peuples ». Les Partis de l’Internationale communiste, dont le parti français, applaudissaient aux procès de Moscou, présentant l’URSS comme le paradis des travailleurs.

Terreur bureaucratique et ordre impérialiste

La Deuxième Guerre mondiale fut une tragédie pour l’URSS et son peuple. La bureaucratie n’aspirant qu’à profiter en paix de sa position privilégiée, Staline avait cru échapper à la guerre en faisant les yeux doux aux démocraties occidentales, puis à l’Allemagne nazie. Confiant dans son pacte avec Hitler, Staline avait laissé l’Armée rouge sans préparation, après avoir décimé ses officiers. L’armée allemande atteignit Moscou et Leningrad en quelques semaines. Finalement, l’URSS put résister à Hitler, et à l’incapacité de la bureaucratie à assurer sa défense, grâce à l’héroïsme de sa population, au front comme à l’arrière. Elle le paya de 20 millions de morts et d’immenses destructions.

Churchill et Roosevelt ayant associé Staline à leur repartage du monde, celui-ci se chargea de défendre l’ordre mondial, d’empêcher que les peuples se lancent à l’assaut du pouvoir comme en 1917-1923. Il le fit dans l’Europe de l’Est que son armée occupait, et dans les autres pays en mettant les Partis communistes au service de la bourgeoisie, au nom de la « reconstruction nationale ».

Cela accompli, l’impérialisme n’avait plus autant besoin de Staline. La guerre froide s’engagea, marquée par la constitution de l’OTAN, une alliance militaire occidentale dirigée contre l’URSS. Face à cette menace, Staline chercha à s’assurer la loyauté des « pays de l’Est » en affermissant son contrôle militaro-­policier, et par une série de procès contre leurs dirigeants.

En URSS, Staline, qui craignait que la population relève la tête, accentua la répression. Il fit envoyer en camps un million de soldats, ex-prisonniers en Allemagne, qu’il accusa de s’être laissé capturer. Il fit déporter des peuples entiers, sous l’accusation d’avoir trahi. Puis, il lança une affaire aux relents antisémites, un prétendu complot des « blouses blanches », prélude à une nouvelle purge des milieux dirigeants.

Le stalinisme après Staline

Aucun membre du Bureau politique ne pouvait se croire à l’abri. Aussi le 28 février 1953, quand Staline eut une attaque, ses lieutenants le laissèrent agoniser, le temps d’organiser des obsèques grandioses, et surtout sa succession. Béria, chef de la police politique, donc le plus dangereux des prétendants, fit l’unanimité à ses dépens : il fut arrêté, puis exécuté, avec ses adjoints. Khrouchtchev, chef du parti, fut le plus habile. Devenu successeur en titre de Staline, il l’accusa en 1956, au 20e congrès du parti, sinon de toutes les tares du régime, en tout cas d’avoir fait exécuter de nombreux « bons staliniens », disait-il en s’adressant aux bureaucrates.

Ce que l’on qualifia de « déstalinisation » n’était guère plus que la promesse faite aux bureaucrates qu’ils pourraient jouir de leurs privilèges sans plus craindre pour leur vie.

Le régime souleva un peu le couvercle de la censure, surtout littéraire, un « dégel » qui permit à l’intelligentsia de voir en Khrouchtchev un libéral. Mais le régime n’avait, sur le fond, rien perdu de son caractère parasitaire, réactionnaire, policier et violemment antiouvrier.

Il le prouva dès juin 1953, en lançant ses tanks contre les ouvriers de Berlin-Est en grève. Puis il réprima dans la foulée les soulèvements des ouvriers tchèques de ­Plzen, polonais de Poznan et, en octobre-décembre 1956, Khrouchtchev dut s’y reprendre à deux fois pour faire écraser par ses chars la révolution des conseils ouvriers de Hongrie.

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