Dans le monde

Syrie : massacres et hypocrisie

Après le veto de la Russie au projet de résolution réclamant un cessez-le-feu en Syrie, présenté à l’assemblée générale de l’ONU par Jean-Marc Ayrault, ministre français des Affaires étrangères, Poutine a annulé sa visite à Paris prévue le 19 octobre. C’est le dernier épisode du petit jeu diplomatique, aussi cynique que dramatique, des dirigeants français autour du sort d’Alep, écrasée sous les bombes par l’aviation russe, alliée de Bachar el-Assad.

Depuis la mi-septembre, l’armée syrienne a lancé une nouvelle offensive pour reconquérir la partie orientale de cette ville, la deuxième du pays, contrôlée depuis 2012 par l’opposition, en l’occurrence les milices d’al-Nosra, liées à l’organisation al-Qaida. Les combats acharnés, maison par maison, s’accompagnent de bombardements soutenus par l’aviation russe. Quelque 250 000 habitants de ce quartier d’Alep sont piégés, sans accès à l’eau, sans ravitaillement, sans moyens de se soigner car les hôpitaux ont été bombardés. La population d’Alep est incontestablement martyrisée, en l’occurrence par les forces russes et syriennes.

Avec une belle dose d’hypocrisie et de cynisme, les dirigeants français et américains se posent en chevaliers blancs, profitant du fait qu’à Alep ce sont les forces russes qui font le sale travail. Il y a un partage des rôles en Syrie et en Irak, une complicité sur fond de concurrence, entre la Russie, les États-Unis et leurs alliés européens ou régionaux. Après avoir longtemps soutenu et armé l’opposition à Bachar el-Assad, y compris des milices islamistes comme al-Nosra, dont la barbarie et la brutalité vis-à-vis de la population n’a rien à envier à celles de Daech, les dirigeants occidentaux l’ont lâchée. Face au chaos engendré par leur politique, après que Daech a conquis un vaste territoire et est devenu une menace directe pour leurs intérêts, ils préféreraient être débarrassés de ces milices incontrôlables. Si Daech est la cible principale de la coalition occidentale, les autres milices islamistes sont aussi visées. Selon les zones de combat et les belligérants en présence, sur le territoire syrien ou irakien, cela passe par la victoire militaire de l’armée syrienne, par l’avancée des combattants kurdes ou de l’armée officielle irakienne, ou encore, désormais, par l’intervention militaire turque au nord de la Syrie. Tout cela fait l’objet de tractations plus ou moins secrètes entre les États-Unis et, ensemble ou séparément, la Russie, l’Iran et la Turquie ; tractations dans lesquelles le sort des civils importe bien peu.

Les larmes occidentales sur le sort d’Alep ne servent qu’à couvrir ces calculs. La reconquête de cette ville par l’armée de Bachar el-Assad fait partie de la solution politique et militaire que les uns et les autres envisagent, cette reconquête dût-elle coûter des milliers de vies humaines.

Pendant qu’Assad et Poutine massacrent la population d’Alep, les avions de la coalition dirigée par les États-Unis, y compris ceux de la France, bombardent d’ailleurs d’autres villes, en Syrie comme en Irak. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un convoi humanitaire ou des civils ne soient frappés.

La coalition occidentale se prépare à la reconquête de Mossoul, en Irak, aux mains de Daech depuis 2014. Pour la reprendre, les Américains, et accessoirement les Français, s’appuient sur les troupes gouvernementales irakiennes et sur les pechmergas kurdes, pendant que leurs avions bombardent la ville et ses faubourgs. Les troupes turques, au nord, sont prêtes à occuper une part du terrain conquis. La bataille dans cette ville qui comptait deux millions d’habitants avant la guerre promet d’être aussi sanglante que celle d’Alep, la lutte contre Daech servant par avance à justifier tous les moyens employés.

Les cris d’orfraie d’Obama ou Hollande devant la brutalité d’Assad et Poutine servent d’abord à masquer leurs propres responsabilités dans les quelque 400 000 morts en Syrie depuis cinq ans. Et toute leur politique actuelle prépare de nouveaux carnages.

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