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- Lutte ouvrière n°2183
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Mai - juin 1940 : Quand la «démocratie» française renforçait la répression contre les antifascistes étrangers
Fin avril dernier, le maire de la commune de Parthenay refusait la lecture publique de la lettre écrite par une ancienne déportée du camp d'Auschwitz, Ida Grinspan, dans le cadre de la journée de la déportation, car celle-ci expliquait que son arrestation avait été opérée par trois gendarmes français. Devant les remous créés par sa réaction, il a dû faire machine arrière, mais ce fait est bien significatif. Le rôle de l'appareil d'État « démocratique » français dans la répression qui s'est abattue sur les communistes, les étrangers et les Juifs, qu'ils soient français ou étrangers, et ce dès 1938, n'est pas un fait que certains politiciens ou intellectuels partisans de l'ordre établi aiment à mettre en lumière, même soixante-dix ans après.
Il y a soixante-dix ans, à la mi-mai 1940, le gouvernement français décidait l'internement systématique de milliers d'hommes et de femmes dans des camps, des camps qui avaient été ouverts dès janvier 1939 pour regrouper les civils et combattants républicains espagnols qui fuyaient la dictature de Franco. Après eux, les premiers à se retrouver derrière les barbelés furent quelques milliers de communistes français, puis vinrent en plus grand nombre les étrangers considérés comme « indésirables » en France, alors que la grande majorité d'entre eux avaient fui le régime nazi en Allemagne ou dans les pays qu'elle occupait, ce régime que la « démocratie française » prétendait combattre. Puis ce furent les Tziganes et massivement les Juifs étrangers qui y furent regroupés. Ainsi, c'est la police « démocratique » française de la IIIe République qui arrêta, rafla communistes, antifascistes allemands ou autrichiens, et Juifs, bien avant que Pétain ne dispose des pleins pouvoirs en juillet 1940.
AVRIL 1938 - SEPTEMBRE 1939 : LES MESURES CONTRE LES ETRANGERS DE DALADIER.
Le 14 avril 1938, le jour de l'entrée en fonctions du gouvernement du radical Daladier, le ministre de l'Intérieur Albert Sarrault promulgua une circulaire sur le nécessaire contrôle des « étrangers indésirables ». Beaucoup d'Allemands étaient arrivés en France dès l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 et dans les années suivantes. Après l'Anschluss, le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne, le 15 mars 1938, 8 000 Autrichiens fuyant les nazis pensèrent eux aussi trouver refuge en France, pendant que des Allemands continuaient à arriver. Le décret-loi du 2 mai et la loi du 14 mai 1938 aggravèrent encore la situation de ces étrangers, en déclarant tous ceux rentrés en France illégalement passibles d'une amende ou d'emprisonnement d'un mois à un an. Le préfet devenait le seul responsable habilité à accorder ou à refuser le prolongement de la validité de la carte d'identité. Le 12 novembre 1938, un nouveau décret-loi aggrava encore les dispositions du mois de mai, prévoyant l'internement des étrangers dans des camps, même si cet internement n'était pas encore systématique.
En fait, le gouvernement du radical Daladier, qui dans le même temps s'employait à briser la résistance ouvrière - au même moment paraissaient les décrets-lois du 13 novembre 1938 mettant en pièces les conquêtes de 1936 - et à empêcher toute opposition de d'exprimer, cherchait pour cela à s'appuyer sur les éléments les plus réactionnaires de la société.
SEPTEMBRE 1939 - MAI 1940 : REPRESSION ET EXTENSION DE L'INTERNEMENT
Daladier agissait ainsi en bon serviteur des intérêts de la bourgeoisie qui, une fois remise de la peur que lui avait inspirée la grève générale de 1936, reprenait toutes les conquêtes arrachées par les travailleurs et entendait les mettre au pas, et avec eux l'ensemble de la population. La répression se dirigea donc simultanément contre les militants ouvriers français et contre les étrangers considérés comme des fauteurs de trouble. La signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 fournit à point nommé un prétexte à Daladier pour s'attaquer aux militants du Parti Communiste Français. La dissolution du PCF fut décidée le 26 septembre 1939 : 3 400 militants communistes furent arrêtés, enfermés en prison puis envoyés dans les camps.
Le tour de vis réactionnaire allait aggraver encore la situation des Allemands et des Autrichiens, en majorité Juifs et surtout, encore une fois, pour la plupart antinazis, même s'il y avait alors en France un certain nombre d'agents nazis. Après la déclaration de la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939, le gouvernement étendit encore les mesures d'internement des étrangers, alors que la plupart étaient connus pour leurs opinions antifascistes ou leur appartenance à des partis ou à des syndicats de gauche, et ce alors qu'il prétendait mener la guerre contre le nazisme. Le décret-loi du 18 novembre 1939 marqua un nouveau tour de vis contre les individus soi-disant dangereux. L'article 1 stipulait que : « Les individus dangereux pour la défense nationale et pour la sécurité publique peuvent, sur décision du préfet, être éloignés par l'autorité militaire des lieux où ils résident et, en cas de nécessité, être astreints à résider dans un centre. » Les préfets furent investis de très grands pouvoirs. À l'automne 1939, la République française avait déjà interné 20 000 réfugiés allemands, pour la plupart antinazis, dans une centaine de camps.
MAI 1940 : SYSTEMATISATION DE L'INTERNEMENT
Avec la déroute de l'armée française en mai 1940 et l'exode de la population devant l'avancée de l'armée allemande, la situation des prisonniers des camps d'internement s'aggrava. Ainsi, au moment de la débâcle, des centaines d'étrangers, pour beaucoup Allemands juifs ou communistes, ou les deux, furent enfermés au Vernet. Les arrestations arbitraires se multiplièrent. Un décret, un de plus, qui ordonnait l'internement des « apatrides », c'est-à-dire de ceux qui avaient perdu leur nationalité du fait de leurs opinions, fut signé au même moment (10 mai 1940). À partir du 12 mai 1940, tous les ressortissants allemands ou autrichiens de 17 à 65 ans de la région parisienne reçurent l'ordre de rejoindre divers lieux : les femmes le stade du Vélodrome d'Hiver et les hommes le stade Buffalo. À partir du 15 mai 1940, 5 000 femmes allemandes juives ou apatrides furent enfermées au stade du Vel'd'Hiv. Elles y restèrent trois semaines dans des conditions très dures avant d'être déportées au camp de Rivesaltes ou de Gurs dans les Basses-Pyrénées. Certaines furent libérées à la fin de l'été, mais environ 1 500 femmes restèrent prises dans le piège des camps français et finirent par être livrées aux autorités allemandes. « Nous étions des réfugiées allemandes persécutées par les nazis et venues se placer sous la protection de la République française... Toutes ont été internées par cette même République un certain 15 mai 1940, date passée sous silence, celle de la première rafle du Vel' d'Hiv' », raconte ainsi Lilo Petersen, qui avait 18 ans lorsqu'elle fut arrêtée avec sa mère, une intellectuelle allemande antinazie.
Les mesures d'internement furent étendues aux Italiens à partir du 10 juin 1940, quand Mussolini décida de se lancer dans la guerre contre la France. Il y avait 700 000 ressortissants italiens en France. Il était donc difficile de les interner tous, d'autant que la France allait s'avouer vaincue moins de deux semaines plus tard, mais la procédure fut engagée. Bon nombre de ceux qui furent internés étaient des antifascistes.
Tous ceux qui étaient enfermés dans les prisons et centres de rassemblement de la région parisienne furent transférés, sous surveillance policière, vers les camps d'internement du Sud. Les hommes considérés comme très suspects furent envoyés au Vernet, les femmes à Rieucros. Plus d'un millier d'ex-combattants des Brigades Internationales furent transférés de Gurs au Vernet. Beaucoup craignaient d'être livrés aux nazis.
Les premiers persécutés du nazisme étaient de nouveau placés derrière les barbelés du fait même qu'une guerre était menée contre leur pays d'origine ; de nouveau ils côtoyaient dans les camps les quelques nazis convaincus qui, eux, furent très rapidement libérés une fois la victoire allemande assurée.
Aujourd'hui, la responsabilité de l'État français de Vichy dans les persécutions et les crimes contre les étrangers et les Juifs de France est officiellement reconnue. Mais pas celle des gouvernement précédents, pas celle des Daladier et Reynaud. Dans les livres d'histoire, les persécutions contre les Juifs ne commencent que le 3 octobre 1940, date des mesures prises par Pétain contre les Juifs, pas avant. On continue à cacher soigneusement tout ce qui s'est passé avant l'arrivée au pouvoir de Pétain, avant le 10 juillet 1940.